« Parfois, je commence à avoir peur de moi-même. S’ils me voient tous comme un tel danger… le suis-je ? » (Sami)
Introduction
Au milieu des années 2000, la « guerre contre le terrorisme » (Global War on Terror), d’abord très offensive et tournée vers l’extérieur, se déplace progressivement et plus insidieusement vers la sphère intérieure. Les attentats de Londres (2005) et de Madrid (2004) ainsi que le meurtre de Theo van Gogh à Amsterdam (2004) entraînent un changement de paradigme : le concept de radicalisation, en particulier la « radicalisation endogène » (homegrown radicalisation), gagne rapidement en importance et en intérêt (Neumann & Kleinmann, 2013) et dans ce cadre la personne des présumés terroristes eux-mêmes, au-delà du seul phénomène. De nombreuses violations des droits de l’homme commises au nom de la lutte contre le terrorisme ont été documentées et critiquées, tel que le recours à la torture, la détention arbitraire, les assassinats ciblés à l’aide de drones ou, au niveau domestique par le biais de la « prévention de la radicalisation », l’usage d’« agents provocateurs » pour piéger des personnes vulnérables, la surveillance de certaines communautés, et la criminalisation des contestations politiques (Abbas, 2019 ; Codaccioni, 2019 ; Kundnani, 2014; Leman-Langlois, 2012; Sanders, 2018).
Le monde académique demeure un acteur-clé dans la production de connaissances sur le phénomène terroriste jusqu’à faire émerger un champ d’études sui generis. Plusieurs auteurs déplorent toutefois que lesdites terrorism studies se développent en silo, en ignorant les connaissances déjà produites dans d’autres domaines sur des phénomènes similaires (Jackson, 2012). Ainsi les chercheurs-phares de cette sous-discipline contribuent-ils à la perception qu’il s’agirait d’un nouveau phénomène, d’un « nouveau terrorisme » (New Terrorism) (Leman-Longlois, 2012). Plus inquiétant encore, ce courant devenu dominant entretient des liens étroits avec le monde des policymakers et stakeholders, politiciens et acteurs sécuritaires à tel point que les connaissances ainsi produites s’apparentent à des « embedded expertise » ; des pratiques discursives auto-suffisantes (Mills, Massoumi & Miller, 2019 ; Silva, 2018).
Le champ reste ainsi fortement politisé, statocentriste et occidentocentrique (Jackson, 2012 ; Mohamedou, 2018). Essentiellement dirigé par des chercheurs américains, il est critiqué pour ses lacunes méthodologiques et empiriques (Campana & Lapointe, 2012 ; Neumann & Kleinmann, 2013). Au niveau épistémique, dominent les approches individualistes, psychologisantes et culturalistes, tandis que les approches critiques restent marginales et les facteurs structurels, sociopolitiques, géopolitiques et historiques sont négligés (Ajil, 2020 ; Bigo, Bonelli & Deltombe, 2008 ; Githens-Mazer & Lambert, 2010 ; Jackson, 2012 ; Kundnani, 2014 ; Lafaye & Rapin, 2017; Mohamedou, 2018). Cela semble expliquer, en partie, le manque de connaissances sur les dérives de la guerre contre le terrorisme et les multiples impacts qu’elles peuvent avoir sur les personnes qui en sont l’objet.
Cet article se veut précisément réduire ces écarts, prenant pour appui l’étude approfondie du cas de Sami[1], condamné en Suisse pour affiliation et soutien à une organisation criminelle, notamment le groupe « Etat Islamique » (ci-après : EI), mais qui continue de clamer son innocence. A l’appui d’un examen minutieux des différents aspects de cette affaire, nous avons identifié un certain nombre de points problématiques qui ont permis de construire sa culpabilité ainsi que créer et sceller l’image d’un « dangereux terroriste ». Partant, nous analysons plus spécifiquement la rhétorique judiciaire et la pratique clinique expertale à l’origine de la construction d’une figure de l’Ennemi et leur traduction politico-administrative qui finit par encapsuler l’avenir de l’intéressé dans un no man’s land civil. Ce faisant, nous rendons compte de l’ampleur des conséquences de ce qui pourrait être appelé une miscarriage of justice pour la personne concernée en termes pénaux et pénitentiaires, politico-administratifs et sociaux.
Combattre la terreur par la terreur : Les miscarriages of justice
Le terme miscarriage of justice (MJ) remonte à Clive Walker (1993). Suivant son acception, une MJ traduit une violation par l’État des droits fondamentaux d’un individu ou une réaction de sa part excessive en tant qu’elle n’est pas proportionnée au regard de l’intérêt public poursuivi. La notion de MJ ressemble ainsi à l’erreur judiciaire au sens sociologique (vs. juridique) proposé par Stengers (1987). Walker était fortement influencé par l’esprit de l’époque puisqu’il invente le terme à la suite de plusieurs scandales judiciaires en Irlande, facilités par le Terrorism Prevention Act(Roach, 2017). Dès son origine, le concept de MJ est donc étroitement lié aux débats sur le terrorisme. Malgré une connaissance croissante d’affaires représentant des MJ, les discours publics et la recherche n’y portent que peu d’importance (Leman-Langlois, 2012 ; Sanders, 2018).
Plusieurs facteurs semblent ici jouer un rôle. D’une part, comme suggéré par Roach (2017), le public semble réagir aux affaires de MJ principalement lorsqu’il y a « innocence factuelle » (factual innocence), c’est-à-dire que la personne n’est coupable d’aucun des faits dont elle est accusée, et ne l’admet à aucun moment. Cela étant, à cause de l’extension du champ d’application des infractions pénales liées au « terrorisme » par la pénalisation d’actes dits « préparatoires » toujours plus en amont d’une infraction potentielle, l’assouplissement du concept d’ « organisation » et la multiplication des mesures policières et administratives (aussi appelé « justice préventive » (preventive justice)) (Dongois & Lubishtani, 2020 ; Meliá, 2019) il devient difficile de prouver l’innocence factuelle (Roach, 2017, Naughton, 2005). D’autre part, la répression du terrorisme s’est accompagnée de l’épanouissement d’un « droit pénal de l’ennemi » au sens où l’entend Jakobs (1976). Pour ce juriste allemand, le droit pénal de l’ennemi (Feindstrafrecht) s’oppose au « droit pénal des citoyens » (Bürgerstrafrecht). Droit d’exception, il est activé par l’Etat à l’égard de personnes qui sont présumées avoir commis des actes si déloyaux qu’elles devraient être déchues de leur statut de citoyen, privées de la sorte de garanties juridiques fondamentales et cas échéant faire l’objet de sanctions très dures, telle que l’exclusion de la société (Cahn, 2016).
Un aspect important du droit pénal de l’ennemi est la mobilisation de la notion de « dangerosité » pour ériger une personne en « ennemi.e » et l’incriminer sans qu’elle ait nécessairement commis une infraction pénale, permettant ainsi de contourner le besoin de démontrer sa « culpabilité » (Giudicelli-Delage, 2010 ; Linhardt & de Bellaing, 2017). Cela a pour corollaire que la personne doit non seulement défendre sa non-culpabilité, mais également attester de sa non-dangerosité. Plus que la notion de l’innocence factuelle, le concept de MJ permet de tenir compte de cette dialectique, qui opérationnalise dans sa version la plus défensive le principe de précaution par une mise à l’écart systématique et potentiellement de très longue durée desdits « ennemi.e.s ». Enfin, lorsque de la littérature sur les MJ existe, elle concerne principalement le contexte anglo-saxon et demeure peu activée.
Contexte helvétique de « la lutte contre le terrorisme »
S’agissant de la Suisse, pays dont ressort le cas soumis à analyse, avant le tournant du millénaire, elle est avant tout touchée par des attaques de groupes de résistance palestinienne (Gyr, 2016). Ces dernières années, elle n’enregistre aucun attentat, mais le Service fédéral de renseignement fait état de 57 personnes « à risque » qui représenteraient une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse ; 92 personnes auraient quitté la Suisse entre 2006 et 2016 pour rejoindre des groupes armés en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen, en Somalie, en Syrie et en Irak (Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, 2020). A partir de 2014, plusieurs enquêtes sont menées contre des groupes et des individus soupçonnés ou confirmés de maintenir des liens avec l’EI. Il s’agit notamment d’une cellule genevoise soupçonnée de planifier des attentats en Suisse et de la cellule dite « de Schaffhouse » (Knellwolf, 2015a, 2015b); d’un groupe francophone de ressortissants suisses dont certains sont actuellement emprisonnés en Syrie (Glaus & Reinhard, 2019); d’un groupe de personnes autour de la mosquée An’Nour à Winterthour, dont certaines se sont rendues sur le territoire alors contrôlé par l’EI en Syrie et en Irak (Feusi & Baumgartner, 2018) ; et un groupe franco-suisse dans la région lausannoise de personnes ayant des liens présumés avec l’EI (Lugon, 2017 ; Roselli, 2016). Il ne s’agit pas seulement de groupes djihadistes, mais aussi des milices chrétiennes (Alder, 2019) ou des nationalistes kurdes (Bièler, 2016). La stratégie actuelle du Conseil fédéral consiste à ne pas ramener activement les voyageurs détenus dans des prisons kurdes en Syrie (Gyr, 2019). Au niveau politique, il existe des initiatives dans le domaine de la prévention, comme le Plan d’action national pour la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent (Réseau national de sécurité, 2017), ainsi que de la répression : En juin 2020, le Parlement suisse adopte deux projets de loi élargissant considérablement l’arsenal pénal et policier en matière de terrorisme. La loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme en particulier prévoit des mesures de police dites « préventives », parmi lesquelles l’arrêt domiciliaire dès l’âge de 15 ans, qui pourront être appliquées en dehors du champ d’application du Code pénal[2]. Vivement critiquée par Amnesty International (2020), le Conseil de l’Europe ainsi que les Nations Unies (ATS, 2020), cette loi est pertinente pour la présente analyse dans la mesure où elle a aussi été justifiée par le fait que trois Irakiens, dont Sami, « ont dû être libérés de prison après leur condamnation et sont toujours considérés comme dangereux »[3].
Méthodologie
La méthode de recherche privilégiée pour développer notre argument est l’étude de cas. Cette méthode est souvent utilisée pour analyser des cas de MJ (Leo, 2005), mais rarement pour des cas liés au terrorisme. Elle a l’avantage de prendre au sérieux la petite histoire dans la grande, en d’autres termes d’éliciter la complexité d’un cas spécifique tout en prenant garde à le restituer dans un contexte plus global. Dans la présente étude, une pluralité de sources sont croisées de telle sorte à saisir le cas à partir de différentes perspectives. Des documents accessibles au public, tels que des décisions de justice et des articles de presse, sont utilisés. Des documents confidentiels sont également inclus, parmi lesquels l’acte d’accusation contre Sami, la plaidoirie de la défense, l’expertise psychiatrique et la décision d’expulsion du Département fédéral de justice et de police. Pour mieux saisir certaines dimensions de l’affaire, des entretiens ont été menés avec des représentants de la police (2 entretiens) et de la prison (1 entretien), ainsi qu’avec la défense de Sami (1 entretien). Au cours de quatre rencontres personnelles avec Sami, des entretiens approfondis de plusieurs heures ont été menés sur sa biographie, le déroulement de l’affaire et son vécu subjectif. En outre, un contact régulier via WhatsApp est maintenu depuis mai 2019. Au moyen de messages vocaux, Sami rend compte spontanément de sa situation actuelle et de ses sentiments, mais aussi d’événements ou faits passés qui lui avaient échappés lors des entretiens. La communication orale et écrite avec Sami se fait toujours dans sa langue maternelle (arabe, dialecte irakien). Nous avons retranscrit et analysé de façon thématique les propos de Sami recueillis par entretiens et messages Whatsapp, pour demeurer au plus près de son vécu tel qu’il nous l’a rapporté. S’agissant des documents (jugement, expertise, décisions en matière d’asile, etc.) réunis, nous avons privilégié une stratégie d’analyse critique du discours, dès lors qu’elle est particulièrement appropriée pour identifier les dynamiques de pouvoir, les représentations sociales et les modèles idéologiques susceptibles d’être relayés dans un matériel documentaire (Bartley, 2018). Concrètement, deux temps d’analyse président à cette étude de cas. Dans un premier temps, nous avons procédé à une analyse de chaque document-clé pris séparément, à savoir le jugement, l’expertise psychiatrique et la décision d’expulsion. Dans ce cadre, nous avons porté une attention particulière à la façon dont différents acteurs ont parlé de et/ou interagi avec Sami et discuté ces éléments en entretien avec ces acteurs concernés pour confronter nos premières interprétations. Dans un deuxième temps, nous avons réuni l’ensemble du matériel recueilli de telle sorte à l’analyser cette fois de façon transversale. De cet exercice ressort un certain nombre de dénominateurs communs qui apparaissent comme ayant largement contribué à la construction et au maintien de la figure du « dangereux ennemi terroriste ».
Sami : sa trajectoire et sa présumée affiliation avec une cellule de l’EI[4]
Originaire d’Irak, Sami, rapporte avoir été kidnappé en 2006 par les milices kurdes à l’âge de 25 ans et détenu pour une période de deux ans. Pendant sa captivité, son père est assassiné. Après sa libération, il est détenu sans procès pendant une année supplémentaire par les autorités irakiennes. Une fois remis en liberté, il fuit vers la Syrie en 2009, où il est reconnu comme réfugié par le UNHCR et travaille dans un restaurant. En Syrie, il rencontre de nombreux réfugiés irakiens, y compris ceux qui sont ensuite soupçonnés par le Ministère public de la Confédération helvétique d’être membres de l’EI. Eu égard à la situation toujours plus précaire à Damas à cause de la guerre civile, Sami décide de fuir vers la Suisse, où son ami d’enfance Sobhi, désormais réfugié reconnu, lui promet son soutien. Son voisin lui prête de l’argent pour le voyage via la Turquie et l’Italie. Arrivé en Suisse fin 2013, il se voit refusé le droit d’asile parce qu’il a déjà laissé ses empreintes digitales lors de son arrivée en Italie. Un avocat lui conseille de se cacher et d’attendre l’écoulement du délai dit « de Dublin »[5]. Il trouve alors refuge auprès de Hani, qu’il avait rencontré en Syrie et qui réside en Suisse alémanique.
Deux mois plus tard, Sami est arrêté, avec Sobhi et Hani, devant l’appartement de ce dernier car le trio est soupçonné de planifier un attentat. Le lendemain, les autorités fédérales le libèrent, sous déclaration qu’il aurait été arrêté par erreur. Dix jours plus tard cependant, les procédures sont également ouvertes à son encontre et il est remis en détention. Pendant près de trois ans, il reste en détention, dont il passe la majeure partie du temps en isolement. En mars 2016, il est condamné par le Tribunal pénal fédéral (TPF) à une peine privative de liberté de 4 ans et 8 mois[6] pour participation à une organisation criminelle et séjour illégal en Suisse[7]. Il fait recours contre cette décision auprès du Tribunal fédéral, qui dans sa décision du 7 mars 2017 l’admet partiellement, annule le jugement du TPF le concernant et lui renvoie l’affaire pour une nouvelle décision sur la peine[8]. Peu après, le 29 mars 2017, une demande de libération de la part de la défense de Sami est admise[9]. Le 30 octobre 2017, le TPF le condamnera définitivement à une peine privative de liberté de 3 ans et 6 mois[10].
C’est suite à sa libération le 30 mars 2017 qu’intervient l’Autorité de protection de l’adulte et de l’enfant, qui requiert une expertise sur sa personne au motif qu’il présente potentiellement un risque d’auto- et/ou d’hétéro-agression. Pour les besoins de l’expertise, il est placé dans un hôpital psychiatrique et y demeure six semaines. A sa sortie, il est transféré dans un centre d’accueil pour réquerant·e·s d’asile, où il réside pendant deux ans et demi placé sous plusieurs mesures, parmi lesquelles une restriction territoriale au périmètre de la commune (19 km2), une surveillance électronique au moyen d’une montre GPS et des rencontres régulières avec la police. Sa demande d’asile est définitivement rejetée en 2019, les autorités considérant qu’il représente un danger pour la sécurité de la Suisse. A date (juillet 2020), son expulsion vers l’Irak ne peut être effectuée en raison du principe de non-refoulement. Il occupe présentement une chambre dans une colocation et reçoit une aide d’urgence.
Chronique d’une construction judiciaire, clinique et administrative d’un « dangereux ennemi terroriste »
1. La construction judiciaire : du requérant d’asile au terroriste
Sami est accusé de participation et de soutien éventuel à une organisation criminelle (art. 260ter, al. 1 du Code pénal suisse), ainsi que de séjour illégal (art. 115, al. 1, ch. b, de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration). Le séjour illégal fait référence à son passage en clandestinité après le rejet de sa demande d’asile. Ce fait demeure incontesté, mais n’a finalement eu qu’un effet très légèrement aggravant sur la peine. Nous reprenons ici les principaux éléments ressortant de l’acte d’accusation du Ministère public de la Confédération (MPC), la plaidoirie de la défense et du jugement du TPF[11].
1.1 Des messages Facebook pour asseoir l’accusation
Comme preuve de son affiliation à l’EI, le MPC considère que Sami aurait rencontré quatre ou cinq fois une personne nommée Abu Rashida pendant son séjour en Syrie. Abu Rashida est présenté par le MPC comme un leader d’un groupe affilié à l’EI[12]. Pour la défense, les contacts sporadiques et très limités entre Sami et Abu Rashida ne suffisent en aucun cas à prouver une quelconque affiliation à l’EI, puisqu’au moment du procès, la jurisprudence sur l’article 260ter CP était encore telle que seuls les membres du noyau d’une organisation terroriste pouvaient être considérés comme appartenant à cette organisation[13].
Pour le surplus, l’accusation se fonde essentiellement sur des messages échangés par Facebook dans lesquels des tiers font des déclarations concernant Sami. Il est notamment celui où le principal accusé dans cette affaire, Hani, écrit à Sami que lui et Sami « iraient voir les frères pour le reste de leur vie »[14]. À un autre moment, il écrit à Sami « que [Sami] devrait travailler avec l’”entreprise” » au motif qu’il serait « devenu un expert au Al-Sham [Damas] ». Le MPC produit aussi un message d’Abu Rashida envoyé à Hani, dans lequel il prétend qu’il enverrait Sami « à la mort », ce à quoi Hani répond que Sami serait « l’un des premiers héros et ne craint pas la mort [ahahah]». Sami explique au cours de l’enquête qu’il n’aurait pas été au courant de cette conversation et qu’il soupçonne que les deux hommes plaisantaient, ce qui serait également indiqué par le « ahahah » suivant la phrase. Pour le MPC, cependant, ces éléments constituent des preuves que Sami aurait d’une part « acquis une expérience de la guerre ou de la terreur », et d’autre part voulu travailler pour l’EI en Suisse ou en Europe. En outre, il aurait été prévu qu’il « soit actif pour l’EI et soit envoyé « à la mort » et donc envoyé au combat ».
Le MPC estime également que l’affiliation à l’EI peut être prouvée par un message envoyé par Sami lui-même. Sami y écrit à Hani qu’il serait désormais « devenu un joker » et qu’il serait prêt « à coopérer avec les garçons ». Sami explique dans les entretiens qu’il ne se souviendrait plus de ce message et qu’il aurait été étonné d’avoir écrit cela. Pour le MPC, cependant, ce message prouverait que Sami aurait « officiellement rejoint l’EI ».
Selon le MPC, Sami aurait également développé des activités pour l’EI. Il estime d’une part que Sami aurait rejoint la Suisse pour y créer une cellule terroriste. Là aussi, il s’appuie exclusivement sur un long message adressé par Sami à Abu Rashida via Facebook. Sami y écrit que son projet de travailler pour l’« entreprise[15] » en Turquie n’aurait pas abouti et qu’il se serait ensuite rendu en Suisse via l’Italie pour demander l’asile. Il se serait endetté auprès de plusieurs personnes et aurait besoin de 6000 dollars américains (USD). Dans un message ultérieur, il demande à Abu Rashida 5000 USD. Ce dernier lui aurait « promis une aide, mais pas le montant souhaité ». Sami envoie ensuite un dernier message contenant la phrase centrale pour le MPC : « J’ouvrirai une succursale de l’entreprise ici après avoir organisé mes affaires parce que du bon travail peut être fait ici ». Pour le MPC, il ressort clairement de ces échanges que Sami aurait été soutenu financièrement par Abu Rashida. Ce soutien aurait été lié aux activités pour l’EI en Suisse. La déclaration d’Abu Rashida selon laquelle Sami « est une personne loyale pour nous » est considérée comme particulièrement incriminante. Pour le MPC, il serait clair qu’il pouvait seulement s’agir là de la « création d’une cellule suisse dans le cadre de l’EI » et que le « développement d’activités pour l’EI » serait ainsi prouvé.
Sami et la défense affirment que ce message aurait été une construction mensongère pour demander de l’argent à Abu Rashida[16]. A l’époque, il se serait trouvé dans une situation très difficile, car il s’était endetté auprès de son voisin, qui lui avait généreusement prêté 2000 USD pour sa fuite et avait désormais été incapable de financer la sienne. Dans son désespoir et enfermé chez Hani (qui lui aurait répété constamment que les gens avaient besoin qu’il leur rende leur argent), il se serait souvenu d’Abu Rashida et aurait tenté de lui en demander. Concernant l’emploi d’expressions telles que celles d’« entreprise » et de « travail », Sami explique que les gens autour d’Abu Rashida auraient employé ces termes. Il supposait que d’offrir son soutien à cette « entreprise » dont il aurait ignoré la nature, aurait pu augmenter ses chances de recevoir de l’argent. Pour la défense, il semble étrange qu’une personne vienne en Suisse sans fonds pour mettre en place une cellule de l’EI et demande ensuite désespérément de l’argent. Il serait également significatif qu’il n’y ait eu aucun contact entre Sami et Abu Rashida avant et après les deux messages.
Enfin, Sami est accusé d’avoir créé un compte Facebook pour un ami d’Abu Rashida et d’avoir communiqué le nom du compte à ce dernier. Ce fait est non-disputé par Sami, mais aurait, selon lui, consisté à une simple aide amicale pour une personne qui ne savait pas manier les réseaux sociaux. Le MPC affirme au contraire que Sami aurait ainsi développé des activités pour l’organisation en « créant des réseaux et en transmettant des informations pertinentes à [Abu Rashida] ».
1.2. La figure du « mal » pour incarner l’accusé
Dans sa plaidoirie, la défense déplore que l’accusation, en dépeignant Sami comme un membre d’une cellule terroriste, le fasse muter d’un demandeur d’asile cherchant de l’aide à « l’incarnation du mal et de la laideur de l’histoire contemporaine ». Elle fait remarquer que le procès serait par ailleurs trop fortement influencé par l’esprit défensif et répressif de l’époque et qu’on pourrait présumer « que le MPC n’est lui-même pas au clair sur comment Sami aurait franchi les limites de la responsabilité pénale […]. Néanmoins, il risque maintenant une peine de 5 ans et demi, parce qu’il aurait soudainement poursuivi son propre agenda djihadiste en Suisse ».
Dans un vocabulaire caractérisé par plusieurs clichés, les juges écrivent que Sami aurait « abusé de son séjour en Suisse pour participer au développement organisationnel d’une cellule européenne d’une organisation terroriste internationale très dangereuse » et à « l’infiltration dans l’espace culturel occidental de coreligionnaires qui tentent d’imposer leur foi et leur ordre mondial aux autres par une stratégie de violence impitoyable »[17]. Ce faisant, il aurait « abusé du droit à l’hospitalité accordé dans les deux États » et il serait « incompréhensible et inacceptable qu’il tente d’importer son idéologie combattante dans l’environnement social et politique de la Suisse, où il a demandé l’asile ». Enfin, Sami est accusé d’avoir une « énergie criminelle non négligeable », et « son déni » des crimes dont il est accusé prouverait qu’« il n’a pas de remords ». En outre pour les juges, il se serait d’ailleurs comporté pendant sa détention de manière « manipulatrice » et « subtilement menaçante ».
1.3. David vs. Goliath et un verdict préétabli
A l’analyse, il apparaît que l’évaluation des preuves fragmentées et vagues a été effectuée de façon systématiquement défavorable à Sami, marquant un renversement du fardeau de la preuve tendant à la consécration d’une présomption de culpabilité au détriment de celle de l’innocence. Les déclarations du prévenu et les arguments de la défense n’ont eu aucune influence sur le jugement. À plusieurs endroits, cette distorsion est renforcée par une hiérarchisation de la crédibilité : les déclarations de Sami sont tour à tour qualifiées de « confuses » et ancrées dans « le déni », alors que les hypothèses du MPC quasi systématiquement élevées au rang de faits avérés.
Plus subrepticement, on peut supposer que la présentation des extraits tirés de conversations sur Facebook contribue à renforcer les distorsions. Typiquement, il semble y avoir une exploitation des différences culturelles et linguistiques : l’utilisation fréquente du terme « Dieu » donnant l’impression d’un discours sectaire et idéologisé, alors que les expressions et les phrases contenant « Dieu » sont en effet très courantes en arabe familier[18]. En revanche, des passages essentiels tels que l’affirmation selon laquelle Sami travaillerait désormais comme « joker » ne sont pas cités verbatim. Ainsi, il faut croire le libellé du jugement sans que la version originale soit accessible. Enfin, une décontextualisation des citations peut être critiquée en termes généraux. Les extraits semblent avoir été découpés et choisis de telle sorte qu’ils soutiennent les arguments de l’accusation. Placés dans leur contexte et dans la langue originale, ils peuvent clairement prendre un tout autre sens.
Enfin, des sources d’information unilatérales (par exemple, les déclarations concernant la détention) sont retenues afin d’incriminer le prévenu et consolider sa culpabilité. Les déclarations des personnes interrogées ne semblent pas avoir été systématiquement vérifiées. On peut s’étonner notamment que le traitement humiliant infligé à Sami pendant sa détention, bien qu’amplement documenté et communiqué, n’ait donné lieu à aucun doute sur leur vraisemblance. En outre, il semble absurde de prétendre que quelqu’un agirait de manière manipulatrice lorsqu’il demande une aide médicale, dans une situation d’isolement complet dont les conditions extrêmement restrictives et stressantes ne peuvent qu’impacter gravement la santé mentale et physique de celui qui le subit.
2. La construction clinique : du terroriste condamné au sujet à risque imminent pour la société
Alors qu’il a purgé sa peine, Sami se voit placé en hôpital psychiatrique pour y passer une expertise mandatée par l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte. L’expertise est requise afin de déterminer si Sami est affecté par un trouble mental qui pourrait constituer un danger pour lui-même ou pour autrui[19]. Totalisant plus de quarante pages, l’expertise est structurée en plusieurs parties : l’anamnèse, le diagnostic et un pronostic de risque de passage à l’acte en réponse aux questions de l’Autorité précitée.
2.1 L’anamnèse : un cadre-problème binaire
La biographie décrite dans l’expertise est en grande partie conforme aux déclarations de Sami, raison pour laquelle nous nous bornerons ici à décrypter essentiellement le cadrage opéré par l’expert psychiatre pour restituer l’histoire de vie. On note ainsi dans un premier temps le recours à des moyens linguistiques et une sémantique qui transpirent les procès d’intention ainsi qu’une méconnaissance du monde arabo-musulman. L’anamnèse est d’abord émaillée d’une connaissance stéréotypée tant de l’Islam que du phénomène terroriste : puisque, selon le jugement, Sami est un « terroriste-EI », il devrait aux yeux du psychiatre être intensément religieux. Suivant, l’expertise est jalonnée de tentatives du spécialiste d’ériger la religion comme un bon prédicteur de « dangerosité », via des déclarations telles que « la religion ne jouait pas un rôle particulièrement important dans la famille » et « d’ailleurs, son école était une école normale et non une école coranique ».
L’expert se penche ensuite intensément sur la supposition que Sami aurait tenté de « recruter des codétenus pour sa cause » en prison. Sami a cependant passé la quasi-totalité de sa détention préventive en isolement. En outre, il ne parlait pratiquement pas l’allemand jusqu’au moment de l’expertise, cette double situation rendant le « recrutement pour une cause » plutôt compliqué. La trame narrative de l’expertise engage toutefois son lecteur à adhérer à la thèse du recruteur. Elle est développée suite à une description du traitement humiliant en prison, de telle sorte à justifier ex post le placement et de façon indirecte délégitimer le récit de l’intéressé.
Tout aussi questionnable, l’expert psychiatre s’appuie longuement sur des sources de deuxième main, les prenant pour acquis. En particulier, les déclarations très incriminantes d’un commandant de police sont incluses telles quelles dans l’évaluation. Le psychiatre y recourt en affirmant notamment qu’« il a été prouvé que [Sami] combattait en Irak et qu’il a déjà été arrêté et contrôlé par les forces de sécurité occidentales dans ce pays ». De plus, il aurait prévu « des attaques contre des troupes occidentales ». Dans le jugement, rien de tel n’est pourtant présenté comme avéré. Pour autant, il affirme sans ménagement que « lors du dernier interrogatoire, il a fait des remarques très méprisantes sur la société d’accueil, et a même parlé de décapitation ». Le commandant de police devait lui-même avoir reçu de telles informations des autorités chargées de l’enquête. Or, étonnamment ces éléments n’ont jamais été relayés par le MPC, ni dans ses écrits, ni en audience. Enfin, il affirme que Sami « voulait se brûler le bout des doigts pour ne plus laisser de traces dactyloscopiques ».
En prélude au diagnostic, le psychiatre revient sur sa quête de preuves qui pourraient démontrer un endoctrinement religieux. Il écrit, par exemple, que Sami est de « relativement bonne humeur », mais que son humeur « s’assombrit quelque peu lorsqu’on l’interroge sur des sujets tels que la foi islamique » – son ton deviendrait alors « plus sérieux et il ne rit plus autant » ; ou encore Sami s’exprimerait « de façon presque évasive lorsque des questions de foi sont posées ». Enfin, il confronte Sami à des déclarations que l’on pourrait qualifier de xénophobes. Ainsi souligne-t-il son étonnement que le sujet « dit ne pas avoir remarqué qu’il y a tant de musulmans parmi les prisonniers qui ont commis des vols etc. » ; un étonnement qui confine à des préjugés répandus sur la nature supposément hypocrite des musulman·e·s.
L’expertise est aussi jalonnée de préjugés dans la discussion sur les sunnites et les chiites. Le psychiatre recherche des attitudes « anti-chiites » qu’il présume très prononcées chez un djihadiste endurci, comme il soupçonne Sami de l’être. Là encore, une compréhension très superficielle et ahistorique des frictions régionales entre sunnites et chiites devient apparente. Il recourt ainsi à l’essentialisation de l’arrière-plan familial sunnite de Sami (qui, selon Sami, n’aurait jamais joué un rôle dans sa vie), en laissant entendre qu’en tant que sunnite, il devrait mépriser les gens d’origine chiite. Il insiste notamment sur des rites relativement spécifiques, comme l’« Ashoura », une cérémonie annuelle chez les chiites, et suppose que Sami les connaît: « Comme on lui pose des questions sur le rituel de l’ « Ashoura », pour le tester, il réfléchit d’abord longuement : Il ne saurait pas exactement ce que cela signifie, même si un de ses frères est marié à une femme chiite ». Lorsqu’il s’avère à nouveau que Sami ne sait pas grand-chose des spécificités sectaires ou du contexte spécifique des rites, cela est présenté par le psychiatre comme une tentative de dissimulation (tel qu’indiqué par « il réfléchit longuement »). Dans la foulée de sa question de savoir si Sami serait « prêt à mourir pour sa religion » il l’interroge aussi sur l’au-delà : « lorsqu’on lui demande ce qui se passe réellement au moment de notre mort, il répond de façon assez brusque que c’est simplement la fin et la fin ». Le décor textuel trahit ici également une attitude systématiquement sceptique : il semble que, selon l’acception du psychiatre, un « terroriste-EI » devrait être prêt à mourir pour sa cause. Les réponses de Sami ne permettant pas de confirmer cette hypothèse, elles sont présentées comme peu crédibles.
En définitive, il ressort de l’anamnèse une pensée stratégique expertale relativement binaire, en ce que Sami semble à chaque fois confronté à deux possibilités : par sa réponse, il peut soit confirmer soit réfuter l’hypothèse posée par le psychiatre, selon laquelle il s’agit d’un « terroriste-EI » tel qu’il l’imagine ou tel qu’il est relayé par le jugement. Quand la réponse tend plutôt à invalider l’hypothèse, alors l’expert tend à traduire ses déclarations comme des tentatives de manipulation[20]. Surtout, le psychiatre ne diagnostique aucun trouble mental ni de trouble de la personnalité. Nonobstant, il procède tout de même par poser un pronostic relatif au danger présumé de Sami.[21]
2.2 L’analyse du risque : des stéréotypes pour un pronostic sombre
Le psychiatre recourt à une série d’outils et de questionnaires d’« évaluation du risque », par ailleurs pour certains non validés, afin d’apprécier dans quelle mesure le sujet présente un risque d’auto- et d’hétéro-agression[22]. Aucun des instruments ne semble suffisamment démontrer la dangerosité de Sami, bien que le psychiatre réponde aux questions et aux critères en se basant principalement sur ses propres hypothèses et des présupposés tirés du jugement. Pour évaluer la « conscience » de Sami, il écrit, notamment, qu’elle « semble se limiter à son groupe de référence ; et non à la culture d’accueil qui l’entoure ». La « stabilité émotionnelle » de Sami serait bonne, dit-il, car il n’aurait aucune difficulté « à garder son calme (ce qui pourrait même être interprété comme une certaine « insensibilité ») ». A en croire l’expert, une « identité victimaire [fait partie] aujourd’hui de l’auto-compréhension des sunnites en Irak » et une « revendication exclusive de la vérité [est naturellement] donnée par sa religion (« vérité divine ») ». A l’analyse des déclarations suivantes, il nous apparaît que l’évaluation n’est en aucun cas basée sur le cas individuel de Sami, mais sur une connaissance stéréotypée du phénomène terroriste : ainsi le psychiatre estime-il qu’une « propagande sur l’au-delà [appartient] à l’indispensable outillage mental des aspirants terroristes » ; que la « dévalorisation des autres [appartient] fondamentalement à cette vision du monde » ; qu’une « idéologie de la peur [lui appartient] incontestablement(« terrorisme ») » ; et qu’une « orientation vers l’obéissance : au sein de cette structure de commandement, c’est une condition sine qua non, car, en fin de compte, il est nécessaire de surmonter son propre instinct d’autoconservation ».
En outre, le psychiatre se sert de l’accusation de « taqiya[23] » lorsqu’il affirme que Sami aurait « fortement manqué de transparence ». On saurait cependant, déclare-t-il, que les « islamistes convaincus » auraient recours à « la ruse et la tromperie » dans la « confrontation avec d’autres cultures ». Des déclarations essentialistes telles qu’« autres cultures » et « zone culturelle » servent ici à renforcer l’altérité de Sami. Il est à noter que l’accusation de « taqiya » est de plus en plus utilisée par les services de sécurité pour décrédibiliser des personnes accusées dans ce domaine, car des « islamistes convaincus » ne diraient jamais la vérité lorsqu’ils sont en contact avec des autorités de sécurité d’« autres cultures ». La portée très problématique de ce terme n’a pas encore été suffisamment étudiée.
Malgré « des lacunes considérables en matière d’information et un déni généralisé dans l’attitude [de Sami]», le psychiatre conclut qu’un « profil de risque, bien qu’incomplet – mais néanmoins assez clair, émerge ». Cette phrase est immédiatement suivie par un pronostic dévastateur : « Ainsi, à long terme, on peut supposer un risque moyen à assez élevé d’activités terroristes ». Pour autant, rien dans l’expertise n’explique ce saut de logique.
2.3. Une expertise psychiatrique faisandée ab initio
En résumé, il semble ressortir de l’évaluation du psychiatre un biais de confirmation très prononcé, un procédé non-scientifique et non-éthique, ainsi qu’un manque de transparence et d’indépendance. A l’analyse de la production expertale, il ressort que le psychiatre rivalise en effet de parti-pris pour ériger Sami en une menace majeure pour la sécurité publique sous les traits d’un « terroriste de l’EI ». On pourrait qualifier sa position de « parti pris d’allégeance » (partisan allegiance) (Murrie & Boccaccini, 2015) : Sa démarche est caractérisée par une volonté de confirmer l’opinion des services de sécurité quant à la « dangerosité » de Sami. Les déclarations et les informations à décharge sont omises ou décrédibilisées. Les informations incriminantes (telles que des informations non vérifiées provenant de tiers ou des hypothèses tirées du verdict) sont pondérées de manière disproportionnée pour créer la figure d’un terroriste que le psychiatre semble tout droit tirer de productions médiatiques et cinématographiques. Pour réaliser son évaluation et répondre aux questions qui lui sont posées, il s’éloigne de plus en plus des constatations qui ressortent directement de la conversation avec Sami, et mobilise des connaissances superficielles et pseudo-spécialistes, dont il dégage des affirmations généralistes et des conjectures lourdement incriminantes. Surtout, il s’accorde le droit de tenter le pronostic, alors qu’une interprétation stricte de la base légale y relative l’y autorise que si un diagnostic de trouble de la santé mentale a préalablement été posé. Dans le cas présent, l’expertise pèse lourd pour Sami dans la mesure où désormais, en plus d’une autorité judiciaire, une autorité médicale concourt à le décrire comme un « dangereux terroriste », ce qui va permettre de sceller son sort au niveau politico-administratif. Même si l’expertise n’a dans son champ d’application qu’une valeur limitée (not. absence de constat d’un trouble mental), elle sera sortie de son contexte légal et exploitée par d’autres acteurs dans d’autres contextes, devenant ainsi la maîtresse de la construction de la dangerosité de Sami.
La construction administrative : de l’étranger terroriste dangereux à l’expulsé inexpulsable
En 2019, le Département fédéral de la justice et de la police (DFJP) confirme dans une décision juridiquement contraignante l’expulsion et l’interdiction d’entrée illimitée pour Sami au motif de sa dangerosité qu’il étaye sur foi du jugement de première instance, des rapports confidentiels du Service de renseignement de la Confédération, de l’expertise psychiatrique et de renseignements supplémentaires pris auprès du psychiatre par téléphone.
3.1. Une présumée bombe humaine à retardement
Dans la décision d’expulsion du DFJP, les affirmations du psychiatre occupent une place prépondérante. Sur environ cinq pages d’argumentation, une page complète de l’expertise est citée verbatim. En outre, le DFJP évoque un nouvel avis du psychiatre obtenu par téléphone, alors même qu’il n’a pas rencontré Sami depuis son expertise. Il relève ainsi que l’expert a « soulevé d’autres aspects menaçant la sécurité publique, en particulier le fait qu’après la défaite de l’EI en Irak et en Syrie, qui s’était produite entre-temps, il fallait s’attendre à ce qu’[Sami] puisse désormais être utilisé en Suisse comme une sorte de mentor pour cacher des combattants de l’EI, organiser leur arrivée, leur hébergement et leur orientation vers de nouvelles tâches ». Ces déclarations sont purement hypothétiques, le médecin s’auto-érigeant politologue et expert en sécurité, sans que cette double casquette ne soit remise en question par le DFJP. Il est sidérant que de telles suppositions – fondées ni sur une expertise politique ou historique, ni sur un nouvel entretien avec Sami – sur une possible réorientation stratégique de l’EI, qui pourrait l’affecter (s’il était effectivement un membre assermenté de l’EI), soient utilisées comme argument pour justifier sa « dangerosité ».
La décision reprend également l’opinion du Service de renseignement de la Confédération selon lequel « il faut supposer que le réseau dans le milieu djihadiste qui a été constitué avant la condamnation et qui existe toujours sera utilisé par le plaignant même après sa libération ». Ces évaluations ne sont pas justifiées davantage, bien qu’il serait important de savoir avec précision de quel réseau il est ici question et comment Sami l’aurait utilisé auparavant. De plus, le Service de renseignement affirme que Sami serait affecté par une « empreinte idéologique persistante », sans expliquer comment une telle empreinte se manifesterait. En outre, il écrit que « les déclarations faites par [Sami] auprès des policiers indiquent qu’il ne manifeste aucun remords pour ses actes et qu’il les minimise et les nie systématiquement ». Ensuite, à l’instar du jugement, on note aussi une hiérarchisation de la crédibilité. Le DFJP fait notamment valoir que « rien ne justifierait des doutes sur l’exactitude des évaluations du Service de renseignement ».
Le DFJP considère également que les déclarations de Sami, qui dans son recours à la première décision d’expulsion insiste sur sa propre « non-dangerosité », seraient invalidées « au vu de l’expertise incriminante ». Sur la base des documents précités, il écrit : « Il y a lieu de craindre sérieusement que le plaignant ne se consacre à nouveau à des objectifs djihadistes, même si ce n’est qu’après une certaine période de démarrage ou de repos. Compte tenu de l’absence de remords et de preuves concrètes d’un changement d’attitude, de la conclusion du TPF[24] selon laquelle, sans emprisonnement, le plaignant aurait intensifié encore plus ses activités criminelles, et de l’énergie criminelle non négligeable, il faut partir du principe que la menace pour la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse continuera d’exister si le plaignant reste en Suisse ».
Le DFJP soutient ensuite, avec un déterminisme flagrant, que même le comportement positif de Sami après sa sortie de prison ne suffirait pas à détourner l’attention de son « passé » et de son « empreinte idéologique ». En outre, il mobilise, à l’instar de l’expert psychiatre, des connaissances superficielles sur les « terroristes de l’EI » en postulant que « l’EI ne tolère pas les déserteurs » et qu’il y aurait donc un danger que les « adeptes de l’EI » puissent « contraindre Sami à commettre des actes de violence en Suisse sous la menace de la mort ». Une déclaration, là encore, purement hypothétique.
3.2 Boucler la boucle de rétroaction négative
Sur la base de l’argumentation de la décision d’expulsion, nous pouvons identifier une boucle de rétroaction foncièrement négative pour Sami entre les décisions émises à son encontre par le jeu des acteurs impliqués dans son cas :
- Pour l’acte d’accusation, la police judiciaire fédérale, qui fait partie de l’Office fédéral de la police (fedpol), était l’autorité chargée de l’enquête. Cette autorité agit toujours au nom du MPC.
- La décision du TPF était exclusivement basée sur les affirmations du MPC et a été partiellement confirmée par le Tribunal fédéral.
- Ce jugement est directement incorporé dans l’expertise psychiatrique (et probablement dans les rapports confidentiels du Service de renseignement de la Confédération, qui y fait allusion dans ses déclarations retenues dans la décision d’expulsion).
- La décision d’expulsion, prise par le DFJP fait référence au rapport d’expertise, aux rapports officiels et au jugement du TPF.
- Au DFJP sont affiliés tous les acteurs ici concernés (fedpol et donc la police judiciaire fédérale), le MPC et les tribunaux fédéraux), à l’exception du Service de renseignement de la Confédération qui fait partie du Département de la défense, mais collabore sur les affaires terroristes très étroitement avec le DFJP et ses instances investies dans le champ.
A l’exception du Service de renseignement, tous les acteurs sont directement impliqués dans la poursuite pénale au niveau fédéral. Ils se citent mutuellement dans leurs décisions et se renforcent dans leurs évaluations afin de maintenir l’image du « terroriste-EI », érigé en danger permanent pour la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse. Les autorités fédérales bénéficient d’ailleurs d’une dynamique culturelle, spécifiquement helvétique, à savoir un très grand respect des acteurs cantonaux à l’égard des pouvoirs fédéraux à Berne. Les acteurs cantonaux et locaux qui sont en contact direct avec Sami et dont les récits osent parfois le présenter comme un homme décent, modeste, ponctuel et cosmopolite sont rapidement remis à leur place. Ainsi, lors d’une conférence, l’un de ces acteurs s’est vu demander de façon provocatrice s’il prétendait réellement que Sami ne serait « pas dangereux ? ».
In dubio pro Securitate : « Quoi que je fasse, à leurs yeux je reste un terroriste »
Dès son arrestation, Sami est traité comme un terroriste avéré et non présumé. Il faut noter que pendant de son incarcération (2015-16), le nombre d’attentats en Europe avait considérablement augmenté. L’imaginaire collectif est alors fortement influencé par les images de destruction et le nombre élevé de victimes et Sami de devenir l’incarnation de la menace djihadiste. Un constat qui pourrait expliquer le traitement profondément dégradant que Sami subit pendant sa détention provisoire :
« Quand on m’a mis en prison, un monde s’est effondré pour moi. Moi, un terroriste ? Quelle horrible et énorme accusation ! Je pleurais et j’insistais que je n’avais rien à voir avec tout cela. Mais les gardiens s’en moquaient. Par exemple, on m’a dit de ne pas m’asseoir sur une chaise. Le MPC leur aurait dit que j’étais dangereux. » (Sami, entretien 2)
Sami rapporte que les gardien.ne.s se seraient adressé.e.s à lui par « toi, problème », « toi, terroriste », lui auraient refusé plusieurs fois des repas. Des demandes écrites lui auraient été retournées à plusieurs reprises avec un « smiley » dessiné sur le papier. Ses cigarettes auraient parfois été trempées dans du thé ou de l’eau avant de lui être remises. A plusieurs reprises, le médecin ne l’aurait pas pris au sérieux et se serait énervé quand Sami lui demandait quand il allait revenir. Il est confirmé par l’établissement de détention, l’avocat et le psychiatre que Sami a passé plus de deux ans en isolement complet. Sami ajoute que, sans explication, il aurait été transféré à plusieurs reprises en cellule disciplinaire. Il aurait également été transféré dans une cellule différente toutes les trois ou quatre semaines. Les soins médicaux ne lui auraient été accordés qu’à contrecœur et très rarement. Sami rapporte enfin qu’en début de procès, le juge lui aurait demandé ce qu’il ferait de sa liberté s’il était libéré, avant d’ajouter qu’il « ne serait pas libéré de toute façon » et qu’il pourrait être « content des évaluations du psychiatre (de la prison) » ; car à défaut jamais il ne l’aurait sorti du « bunker » (la cellule disciplinaire).
En ce qui concerne les interactions plus quotidiennes, nous avons noté à travers les entretiens que les praticiens semblent mobiliser des connaissances acquises ad hoc sur l’Islam ou le phénomène djihadiste lorsqu’ils travaillent avec Sami. Ces connaissances stéréotypées, principalement nourries par les médias, semblent avoir créé l’attente qu’il s’agirait chez Sami d’un homme hautement idéologisé et religieux. Sami relaie donc plusieurs situations en détail, quand des personnes l’auraient poussé à se prononcer sur le Coran ou l’Islam. Pourtant, ses connaissances religieuses semblent relativement limitées. Lors de sa détention provisoire, il aurait demandé à l’imam de noter les prières de Fatiha[25], car il les ignorait. N’étant pas pratiquant à la base, il aurait commencé à prier de temps en temps pendant son emprisonnement, dans l’espoir que cela l’aiderait à mieux supporter ses conditions de détention. Dans d’autres situations, on l’aurait présenté comme le porte-parole de l’EI. Une fois, par exemple, on lui aurait demandé : « Pourquoi l’EI il massacrent des chrétiens ? Tu dois le savoir, ce sont tes frères » (Sami, entretien 2). Une autre fois, on lui aurait demandé à plusieurs reprises pourquoi il considérait l’interprète arabe « gentil » et « comme un frère ». Enfin, selon ses propres déclarations, les policiers lui ont fait remarquer à plusieurs reprises qu’il serait après tout « un terroriste condamné » et qu’il devrait faire face à son passé. Ils l’auraient également poussé à « admettre » (auprès des personnes bien intentionnées dans son entourage) ce qu’il aurait « commis ».
Chez Sami, ces réactions semblent entraîner une grande frustration et un profond sentiment d’altérité : « Je me sens parfois comme un animal sans droit. Non, même les animaux ont plus de droits que moi » ; une phrase qu’il répète souvent. Il se demande aussi souvent si les acteurs ne se rendent pas compte de la violence symbolique à laquelle ils participent :
« Parfois, je commence à avoir peur de moi-même. S’ils me voient tous comme un tel danger… le suis-je ? […] On devient facilement un terroriste radical si on est constamment injustement traité comme tel. N’y réfléchissent-ils pas ? ». (Sami, extrait d’un message vocal WhatsApp)
Son sentiment d’impuissance est renforcé par le fait que toutes les décisions concernant sa dangerosité semblent être sanctionnées par des juridictions fédérales. Il se sent complètement désarmé face aux autorités étatiques[26]. D’autant plus que ses connaissances en allemand restent rudimentaires, bien qu’elles se seraient grandement améliorées depuis sa libération, selon un policier qui le rencontre régulièrement. Sami remarque finalement, avec un certain désespoir, que son comportement positif ne semble jamais lui bénéficier :
« Je n’ai commis aucune faute tout ce temps. Pendant ma détention, je restais respectueux tout le long. Quand on m’a dit, tu ne quittes pas cette commune, je ne l’ai pas quittée une seule fois pendant plus de deux ans. J’ai toujours coopéré avec la police. Mais quoi que je fasse, je reste un terroriste pour eux tous ». (Sami, entretien 4)
Sami se présente malgré tout comme une personne optimiste, ouverte d’esprit et bienveillante. Il participe à divers projets et associations en tant que bénévole, cuisine lors d’événements communautaires et suit régulièrement des cours d’allemand. Il continue à nier toute implication dans un quelconque projet terroriste ainsi que toute affiliation à l’EI.
Discussion
Il est difficile de savoir avec précision ce que Sami a effectivement fait en Syrie. Après un suivi de presque un an, nous n’avons identifié un quelconque intérêt ni pour des idéologies ou des groupuscules violents, ni pour la religion ou la politique. En même temps, à cause du conflit en Syrie et la fuite des gens qu’il connaissait, il s’avère difficile pour Sami de trouver des personnes qui pourraient témoigner à sa décharge. S’agissant des acteurs impliqués dans l’affaire, ils ne semblent pas non plus apporter de preuves qui permettraient de corroborer l’hypothèse selon laquelle il s’agirait effectivement d’un « terroriste-EI ». Au lieu de cela, le fardeau de la preuve est inversé, convertissant le principe in dubio pro reo en in dubio contra reum et pro securitate : tenant l’accusé dangereux jusqu’à preuve du contraire pour des motifs de sécurité. Dans un tel contexte, tout désaccord est interprété comme un « déni » et une « absence de remords ». Sami se voit imposé un devoir de remords, dont le non-respect est considéré comme indiquant qu’il continuerait à être dangereux ou qu’il aurait l’intention de nuire à la sécurité de la Suisse. Sami n’a donc aucune possibilité réelle de se libérer de la figure du dangereux terroriste dans laquelle on l’enferme. Des déclarations ou des actions neutres ou positives sont même utilisées contre lui, interprétées comme des indications d’un comportement manipulateur.
Le renversement du fardeau de la preuve peut être considéré comme un élément essentiel du droit pénal de l’ennemi, forçant l’accusé de prouver non seulement sa non-culpabilité, mais sa non-dangerosité (Giudicelli-Delage, 2010). Des indices circonstanciels, fragiles et vagues, sont pondérés d’une manière systématiquement défavorable à l’accusé. De plus, force est de constater que dans le cas de Sami les juges s’appuient exclusivement sur les arguments du MPC. Cette promiscuité entre les entités étatiques dans le procès pénal et le déséquilibre que cela entraîne pour l’accusé pourraient être un autre aspect du droit pénal de l’ennemi, surtout en matière de terrorisme, qui mériterait d’être approfondi encore. Le cas de Sami démontre également, d’un point de vue juridique, l’extension du champ d’application de l’infraction 260terCP et l’assouplissement du concept d’« organisation », tel que décrit par Meliá (2019), pour élargir le filet pénal. Le jugement du Tribunal fédéral induit un changement considérable dans la jurisprudence sur l’article 260ter CP et accélère le glissement vers une criminalisation des convictions ou des opinions. Il convient de noter que les actes hypothétiquement commis par Sami – si l’on devait croire toutes les hypothèses du MPC sans réserve – ne reviendraient qu’à une tentative à moitié avortée et infructueuse d’emprunter de l’argent à un « membre de l’EI ». Même dans un tel cas, une peine de 4 ans et 8 mois semble clairement excessive[27]. La diminution de la peine en deuxième instance (à 3 ans et 6 mois) semble d’ailleurs reposer de manière suspecte sur le temps passé en détention par Sami jusqu’au moment du jugement.
L’expertise psychiatrique commandée par l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte est utilisée par les instances de poursuite pénale comme preuve de la « dangerosité » de Sami. Compte tenu de sa portée, une réception plus retenue de cette expertise ainsi que l’obtention d’un deuxième avis, auraient semblé adéquats. Cette expertise ne peut être considérée comme une évaluation impartiale : à l’analyse en effet il apparaît que l’expert essaie de prouver par tous les moyens que Sami serait un terroriste menaçant la sécurité publique. Le psychiatre s’appuie sur des instruments non validés, des connaissances stéréotypées et pseudo-spécialistes[28] et des informations très incriminantes et douteuses provenant de tiers. A l’appui d’une analyse de la décision d’expulsion, une boucle de rétroaction négative peut être identifiée. Dans sa lettre, le DFJP s’appuie principalement sur l’expertise et le jugement, ainsi que sur les déclarations faites par des acteurs (notamment la police judiciaire fédérale) qui avaient déjà influencé le jugement. La décision d’expulsion doit donc être comprise comme un cumul de distorsions et biais résultant de l’enquête, du jugement et de l’expertise et d’une clôture définitive de la construction du « dangereux ennemi terroriste ».
En l’espèce, on peut observer une porosité entre les domaines de l’asile et du droit pénal : des agirs principalement liés à la procédure d’asile sont transformés en indices incriminants dans la procédure pénale. La tentative de se brûler le bout des doigts, notamment, est associée à un dessin criminel et sortie du contexte d’asile. Une analyse approfondie de l’historique de la fuite de Sami pointe plutôt vers une tentative de rendre l’identification dactyloscopique plus difficile lors de du dépôt de sa demande d’asile en Suisse afin d’empêcher les autorités de se rendre compte qu’il avait déjà déposé une telle demande en Italie et suivant, s’y faire renvoyer selon les lois en vigueur.
Enfin, un phénomène de « federal bullying » semble également prévaloir : outre un déséquilibre de pouvoir dans le procès, des pressions sont exercées par des acteurs fédéraux sur des acteurs locaux, notamment du système pénitentiaire et de la police, pour qu’ils fassent des déclarations incriminantes sur Sami. Les représentations médiatiques, que nous nous sommes ici abstenus de relayer, renforcent l’impression de culpabilité de l’accusé. Même après le verdict, des lourdes allégations dont la véracité reste douteuse sont rendues publiques (comme l’affirmation selon laquelle il aurait tenté de « radicaliser » ses codétenus).
Nuancer les discours dominants : la nécessité d’un changement de paradigme
Au vu de l’analyse présentée ici, il peut être argué que le cas de Sami illustre bien la métaphysique d’un miscarriage of justice en matière de terrorisme. Y participent directement la complexité de l’affaire, le fait que Sami ne maîtrise pas bien de langues autres que l’arabe et qu’il est réticent à engager d’autres moyens périphériques, notamment associatifs, pour se défendre ainsi que l’absence de contrôle démocratique sur les décisions prises à son égard. Pour le surplus, il convient de reprendre l’argument de Roach (2017), selon lequel la thèse de l’innocence factuelle continue à dominer l’opinion publique : l’innocence de l’accusé doit être unanimement prouvée et aucun reproche ne doit pouvoir être formulé à son égard. Sami a en effet communiqué avec Abu Rashida et a été condamné pour cela. Cependant, l’interprétation de son message comme une tentative d’établir une cellule terroriste en Europe relève d’une hypothèse non fondée et très défavorable à l’accusé.
Les caractères sacrés du verdict et de l’expertise forgent et renforcent l’image du dangereux terroriste et de l’ennemi de l’État. Les deux documents ont un impact immédiat sur l’appréciation de la « dangerosité » ainsi que sur la manière dont différents acteurs interagissent avec Sami. La conjugaison d’acteurs, de processus et de décisions en matière de droit pénal, civil et d’immigration, et le rôle important joué par les autorités de poursuite pénale dans ce domaine, sont caractéristiques d’une MJ en matière de terrorisme (Roach, 2017). De façon itérative, des présomptions et des hypothèses se transforment en faits concrets qui cimentent la dangerosité de Sami. Ces hypothèses semblent d’ailleurs bénéficier d’un discours hégémonique autour de la figure du « terroriste musulman » (Kundnani, 2014 ; Mohamedou, 2018 ; Shiekh, 2004).
L’analyse présentée ici peut contribuer à la recherche et la pratique par l’ajout de nuances aux discours dominants sur le terrorisme. Les praticiens qui sont chargés des soins, de la réintégration ou même du désengagement d’une personne concernée par ce phénomène se trouvent face à une difficulté certaine : celle d’adopter une attitude humaine et maintenir une vigilance critique dans un contexte qui ne s’y prête pas. L’exemple de Sami montre qu’il n’est pas justifié d’attribuer une légitimité axiomatique aux décisions judiciaires ou aux experts savants. En plus, la diabolisation et la stigmatisation résultant de stéréotypes et méconnaissances cumulées ont un effet aliénant sur la personne concernée et peuvent même contribuer à sa « radicalisation ».
Après tout, la production de connaissances sur le terrorisme n’est jamais très éloignée des structures de pouvoir qui jouent un rôle majeur dans l’élaboration des politiques étrangères, sécuritaires et criminelles (Kundnani, 2014 ; Silva, 2018). L’orientation statocentriste et individualiste de la recherche sur ce phénomène néglige le rôle des acteurs étatiques et les « crimes des puissants » (Jackson, 2012). Si un changement de paradigme est sans aucun doute nécessaire ici d’un point de vue éthique, il l’est également d’un point de vue pragmatique : les tactiques de ladite « lutte contre le terrorisme » – des assassinats ciblés aux « dommages collatéraux » en passant par les détentions arbitraires, les traitements dégradants, la suspicion généralisée à l’égard des personnes d’une certaine origine et la criminalisation des mouvements contestataires – alimentent la propagande de groupes tels que l’EI (Kundnani, 2014 ; Mohamedou, 2018 ; Roach, 2017 ; Sanders, 2018). Dans la gestion du problème terroriste, il est donc primordial de faire régner la compréhension, la précision et l’humanité aux niveaux de la politique de sécurité et de la politique pénale, de l’enseignement et de la pratique. Les faux positifs sont inacceptables pour un État de droit, surtout s’il est loué dans le monde entier pour sa tradition humanitaire et son engagement en faveur des droits de l’homme.
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[1] Tous les noms utilisés dans cet article sont fictifs pour protéger l’identité des intéressés.
[2] Voir les objets 19.032 et 18.071 du Conseil fédéral suisse (www.parlament.ch)
[3] Voir les délibérations au Parlement suisse (www.parlament.ch, objet 18.071)
[4] Cette section est basée sur les entretiens avec Sami et les collaborateurs de la police chargés de son suivi ainsi que sur les documents juridiques et l’expertise psychiatrique.
[5] Ce délai selon l’accord Dublin-III est normalement de six mois. Après l’écoulement du délai, la personne peut présenter une nouvelle demande d’asile dans un autre pays.
[6] La peine maximale pour 260ter CP en concours avec 115 LEI est de 6 ans. La peine infligée est ainsi très élevée, comme le constatera d’ailleurs le Tribunal fédéral dans son arrêt du 6B_1104/2016.
[7] Tribunal pénal fédéral, Arrêt du 18 mars 2016, SK.2015.45.
[8] Tribunal fédéral, Arrêt du 7 mars 2017, 6B_1104/2016.
[9] Tribunal pénal fédéral, Décision du 29 mars 2017, SN.2017.6
[10] Tribunal pénal fédéral, Arrêt du 30 octobre 2017, SK.2017.10.
[11] Les documents publics sont indiqués dans les notes de bas de page. Les documents confidentiels sont à disposition sur demande.
[12] Des preuves matérielles ne sont pas fournies pour corroborer ce lien. Un expert politologue mandaté par le MPC confirme lui-même qu’il n’est pas possible de situer le personnage d’Abu Rashida avec certitude. Le MPC ne fournit pas non plus d’éléments matériels qui pourraient confirmer qu’Sami, si Abu Rashida maintenait effectivement de tels liens, en aurait eu connaissance. La nature des rencontres entre Sami et Abu Rashida n’est en outre pas spécifiée.
[13] Jurisprudence antérieure du Tribunal pénal fédéral, SK.2013.39.
[14] Tous les documents dans le cas d’Sami sont rédigés en langue allemande. Les citations sont traduites de l’allemand au français par le premier auteur. Toutes les emphases sont ajoutées par les auteur.e.s (en italique).
[15] Pour la traduction des termes que le MPC considérait comme étant des « codes », il a eu recours au consultant américain très controversé Evan Kohlmann (Aaronson 2015).
[16] Les quelques fois qu’il l’aurait vu vers le restaurant où il travaillait en Syrie, Sami aurait eu l’impression que celui-là était riche.
[17] SK.2015.45, p. 110.
[18] P.ex. « inchallah » qui signifie « si Dieu veut ». L’expression est couramment utilisée et largement dépourvue d’une quelconque connotation religieuse.
[19] L’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte peut ordonner une expertise psychiatrique quand des acteurs-tiers (p.ex. police, gestion de menaces) le suggèrent et cette expertise être réalisée en institution fermée en invoquant l’article 449 al. 1 du Code civil suisse. L’objectif de cette expertise est de constater si un trouble mental ou de la personnalité existe et, si oui, comment ce trouble se manifesterait.
[20] En outre, il se pose effectivement la question de savoir quelles réponses auraient été évaluées comment. De fait, si Sami avait répondu, par exemple, qu’il croyait à la vie après la mort, on peut légitimement se demander si sa réponse aurait alors été interprétée comme un souhait de vie après la mort et de la sorte corroboré l’hypothèse du « dangereux terroriste ».
[21] Cf. nbp 18.
[22] Ont été utilisés un test de personnalité fondé sur les Big Five, la CIM-10 (classification internationale des maladies), l’échelle de psychopathie PCL-R, le questionnaire Violent Extremism Risk Assessment (VERA) et un questionnaire obtenu lors d’une formation qui ne fait pas plus l’objet de précisions.
[23] La taqiya est un concept qui ne fait pas l’unanimité parmi les théologiens islamiques. Il s’agit notamment du droit de dissimuler son identité ou ses croyances lorsqu’on est confronté à un danger de vie. Historiquement, ce seraient surtout les chiites qui y auraient eu recours, donné leur persécution sous le règne des califats islamiques (Wimmer, 2010).
[24] A ce propos, on peut constater que des informations sont tirées du jugement et reproduites de manière imprécise : les présomptions du MPC (not. « il aurait continué ses activités criminelles ») retenues dans le jugement mutent ici en faits concrets pris pour acquis.
[25] La Fatiha se prononce en introduction à chaque prière islamique. Quelqu’un qui aurait des connaissances religieuses minimales la connaîtrait.
[26] Ici se pose naturellement la question de la défense juridique. Dans les entretiens avec l’avocat qui a défendu Sami pendant le procès, il s’est avéré que ce dernier n’est pas convaincu de l’innocence de Sami. Il aurait été « clair pendant les délibérations que le MPC disposait d’informations incriminantes sur lesquelles on n’avait pas accès ». L’avocat aurait « quand même eu l’impression que Sami était un expert en explosifs en Syrie ». Vu que des éléments concernant la Syrie ont été présentés par le MPC, il demeure étonnant que de tels indices sur ses activités en lien avec des explosifs n’aient pas été présentés devant le tribunal.
[27] A notre connaissance, il s’agit du jugement de loin le plus sévère en la matière en Suisse depuis 2001. A titre d’exemple, Ümit Y., un membre d’une cellule tessinoise sympathisant avec l’EI, qui a admis avoir fait de la propagande, du prosélytisme et fourni une aide logistique à l’EI en Turquie en hébergeant le « djihadiste de Viganello » Oussama K. (qui est ensuite mort en combattant avec l’EI), a été condamné à une peine privative de liberté de 2 ans et demi avec sursis partiel de deux ans (J.R., 2018 ; SK.2017.39).
[28] L’analyse de l’expertise démontre l’absence de compréhension du phénomène terroriste. De fait, il est révélateur que le psychiatre lui-même, dans un article publié en 2007, enjoigne les médecins à s’intéresser davantage aux phénomènes politiques. A l’appui de son appel, il fournit quelques explications toutefois exclusivement psychologiques et dépolitisées du terrorisme (référence retenue pour garantir l’anonymat du psychiatre).
Cet article est paru dans la revue Déviance et Société, 4/2020. Ci-après la version PDF.