In this article, published in Champ Pénal/Penal Field, we engage with psychosocial actors in the field of PVE in Switzerland and Belgium.
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Résister, naviguer, perpétuer ?
Une analyse des logiques préventionnistes « molles » à l’œuvre en Suisse et en Belgique face aux violences politico-idéologiquement motivées
Ahmed Ajil, Julien Fischmeister, Marine Venezia, Manon Jendly, Damien Scalia
Résumé
Suite aux attentats survenus sur sol européen en 2015, la Suisse et la Belgique se sont dotées de dispositifs spécifiquement voués à prévenir les violences politico-idéologiquement motivées. Associés à la prévention dite « molle », en ce qu’ils impliquent d’autres acteur·ice·s que ceux relevant de la sécurité, ces dispositifs se dédient à détecter précocement l’engagement dans la violence, jusqu’à tenter d’agir sur les convictions et les croyances postulées comme étant à son origine. À l’appui d’une analyse documentaire et d’entretiens menés auprès des professionel·le·s impliqué·e·s dans ces structures, cet article rend compte de deux nœuds de tensions associés à ce travail préventionniste. D’une part, des tensions « macro-micro » qui traduisent la mise à distance par les intervenant·e·s des discours publics essentialisants qui imprègnent leurs activités. D’autre part, des tensions entre des logiques sécuritaires et welfaristes, qui révèlent chez les intervenant·e·s une certaine créativité pour louvoyer avec l’orientation plus offensive de leur mission, en activant des ressorts qui se situent du côté de la prévention sociale. Si ce double mouvement apparaît comme une résistance au « savoir-pouvoir » dominant la lutte contre le terrorisme, il est cependant susceptible de contribuer à la sophistication de ce pouvoir contreterroriste et, ainsi, à sa pérennisation.
Mots-clés : prévention, radicalisation, extrémisme, terrorisme, savoir-pouvoir, hybridité[1]
Introduction
Depuis le tournant du millénaire, la plupart des pays européens ont développé des instruments pour faire face au phénomène des violences politiquement et idéologiquement motivées, libellées alternativement terrorisme(s), radicalisation(s), ou extrémisme(s). Au niveau de la politique étrangère et de la belligérance, le 11 septembre 2001 a introduit une normalisation des exécutions extrajudiciaires et des domaines extra-juridictionnels (« trous noirs ») (Kurtulus, 2011), ainsi que des décisions de refus de rapatriement (ou rapatriement sélectif) des « combattant·e·s étrangers·ères » (Bounjoua, 2022 ; Lubishtani et al., 2022 ; Stenger, 2023). En termes de droit pénal, la « lutte contre le terrorisme » a conduit à l’expansion des infractions pénales, notamment des infractions préparatoires (Cornford, 2020 ; Mitsilegas, 2023 ; Shahav, 2023) qui représentent une forme de « justice préventive » (Garms, 2018). Dans le domaine du droit d’asile et de la migration, de nouveaux motifs de refus de protection et d’exclusion ont été introduits pour les personnes présumément liées à des organisations terroristes ou étant considérés comme extrémistes (Elia, Fedele, 2020 ; Zedner, 2019). Parmi les autres mesures administratives utilisées figurent les expulsions, les interdictions d’entrée et la déchéance de nationalité (Boutin, 2016 ; van der Baaren et al., 2022).
En parallèle à ces actions offensives et/ou incapacitantes, les États ont élaboré et promu au niveau domestique des stratégies et mesures de « prévention de la radicalisation, de l’extrémisme violent et du terrorisme » (ci-après : PREVT) (Aguerri, Jimenez-Franco, 2021 ; Brouillette et al., 2022 ; Shanaah, Heath-Kelly, 2022). Relevant de la prévention dite « molle », en ce qu’elles mettent à distance toute intervention répressive et qu’elles impliquent les champs du travail social, éducatif, sanitaire et lié à l’intégration, ces initiatives ne sont pas sans interpeller (Baillergeau, 2021 ; Brambilla, Jones, 2020 ; Heath-Kelly, 2023 ; Hermant, Bigo, 2019 ; Shall, Farmer, 2024 ; Sjøen, Mattsson, 2022). En effet, outre qu’elles investissent des sphères de la vie sociale qui ne sont a priori pas liées à la sécurité, elles semblent également se concentrer essentiellement sur un type d’engagement en particulier, lié à l’islam, et par là participer à la construction de certaines croyances et pratiques religieuses comme étant suspectes ou problématiques (Busher, Choudhury, Thomas, 2019 ; Fadil, Ragazzi, de Koning, 2019 ; Scott-Baumann, Perfect, 2021). Cette partie de l’activité contreterroriste, de type infra-pénal dès lors qu’elle s’exprime en-dessous du seuil de criminalisation, véhicule ainsi une idéologie plus large que nous appellerons le préventionnisme, à savoir un système de pensée dominant le champ des politiques criminelles appelant à détecter précocement l’engagement dans la violence, jusqu’à tenter d’agir sur les convictions et les croyances postulées comme étant à leur origine (Aguerri, Jimenez-Franco, 2021 ; Schmid et al., 2021).
Puisqu’il « n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir » (Foucault, 1975/2003, 36), la PREVT repose sur un savoir-pouvoir caractérisé par la menace omniprésente de l’attentat terroriste à caractère islamiste qu’une pluralité d’acteurs sont convoqués à prévenir à tout prix. La présente contribution explore ces logiques préventionnistes, en prenant pour appui la perspective des professionnel·le·s impliqué·e·s en Belgique francophone et en Suisse romande dans la PREVT. Si ces intervenant·e·s narrent leur travail comme une résistance au « savoir-pouvoir » essentialisant dominant le champ et tentent de naviguer ce pouvoir susceptible d’amorcer des réflexes sécuritaires à tout moment, leur résistance présente des limites pratiques et épistémiques, puisqu’elle contribue dans un même temps à le déformer, le réformer, voire à le perpétuer.
Note méthodologique
Pour recueillir et analyser les logiques préventionnistes à l’œuvre dans le domaine de la PREVT en Suisse et en Belgique francophones, nous avons procédé en deux étapes. Dans un premier temps, nous avons mené une recherche en sources ouvertes (desk research) de sorte à recenser les documents stratégiques, politiques publiques, lois et programmes régissant le domaine dans les deux pays (Flick, 2018). Ce matériau a fait l’objet d’une analyse semi-inductive générale, partant des données brutes, pour en dégager les principales dimensions programmatiques (Blais, Martineau, 2006).
Dans un deuxième temps, nous avons mené des entretiens d’une durée moyenne d’une heure et demie auprès de 16 professionnel·le·s travaillant dans une structure associée au domaine PREVT, dont neuf en Suisse et sept en Belgique, entre 2020 et 2024. Les structures comprenaient des organes de l’administration publique (cantonale ou régionale) impliqués en partie dans la PREVT (N=3), des structures spécialisées en PREVT (N=6), des structures de soutien non-spécialisées mais prenant en charge des cas liés à la PREVT (N=3) et des organisations à but non lucratif impliquées dans la PREVT à la faveur de financements dédiés (N=4). Six femmes et dix hommes, issu·e·s respectivement du travail social (N=6), des sciences des religions (N=1), sciences politiques (N=1), de la psychologie (N=3), de la criminologie (N=3) et du droit (N=2) ont accepté de nous rencontrer. A l’exception d’une personne en Suisse, tou·te·s étaient actif·ve·s dans l’intervention psychosociale avant de s’engager spécifiquement dans les thèmes liés à la PREVT. Dès lors que les dispositifs ne sont pas très nombreux et que leurs intervenant·e·s se connaissent le plus souvent à l’échelle des pays concernés, il a été convenu d’entente avec elles et eux de leur donner des prénoms fictifs et de ne pas relayer d’autres informations les concernant pour garantir leur anonymat.
Chaque entrevue a été réalisée à l’appui d’une grille d’entretien semi-directive investissant (1) des aspects définitionnels sur la prévention, la radicalisation et les violences politiquement et idéologiquement motivées, (2) les approches d’interventions privilégiées, (3) les mesures concrètes déployées et leurs publics cibles, (4) le sens qui leur est attribué et enfin (5) les enjeux identifiés par les participant·e·s à l’appui de leur expérience, tout en leur laissant le loisir d’aborder spontanément d’autres sujets et d’adapter les échanges en fonction de leurs réalités (Anadón, Guillemette, 2007). Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement pour en faciliter l’analyse thématique de contenu en quadruple aveugle.
Pour valider et/ou ajuster nos analyses tirées du matériel collecté (Heap, Waters, 2019), nous les avons confrontées aux représentant·e·s de divers milieux impliqués dans la PREVT (institutionnels, associatifs, agences non gouvernementales et policymakers) à l’occasion de deux espaces de discussion. Impliquant également des personnes directement impactées par la PREVT, le premier échange a réuni une vingtaine de participant·e·s en Suisse en 2022 et le deuxième une dizaine en Belgique en 2023.
1. Le glissement de l’activité étatique vers la sphère pré-criminelle
Dès les années 1970, on observe dans les États occidentaux un investissement croissant dans le champ de la prévention, à tel point qu’il est question d’un « tournant préventif » (preventive turn), en parallèle au « tournant sécuritaire » (Bonelli, 2008). Plusieurs raisons sont évoquées comme étant à l’origine de ce virage, notamment l’incertitude accrue liée à l’arrivée de la modernité tardive (Bauman, 2000), l’écart croissant entre la sécurité « objective » et les sentiments d’insécurité (Garland, 2012), la montée des « peurs primitives de l’Alterité »[1] (Lianos, Douglas, 2000, 262), l’avènement de la « société du risque » (Beck, 1992) ou encore l’introduction progressive de logiques managériales et actuarielles (Feeley, Simon, 1992). Ce tournant s’est par ailleurs vu renforcé à la suite des attentats du 11 septembre 2001, les États redoublant d’efforts pour prévenir toute forme de violence terroriste le plus tôt possible, quitte à verser dans des dérives sécuritaires (Bigo et al., 2008). D’une certaine manière, les États-nations ont commencé à « surdévelopper » leur fonction préventive (Tulich, 2012) et « l’orientation post-criminelle de la justice pénale a été de plus en plus éclipsée par la logique précriminelle de la sécurité » (Zedner, 2007, 262). Il s’agissait également, en partie du moins, de répondre à la demande croissante de protection émise par les publics à l’égard des « figures de la menace », typiquement incarnées par les « prédateurs sexuels, les personnes violentes en série ou les terroristes en puissance, dépeints comme des monstres ou des bêtes sauvages » (Zedner, Ashworth, 2019, 434 ; Janus, 2004). Plus récemment, l’aura entourant le recours aux mégadonnées et dispositifs affiliés pour anticiper les problèmes sociaux (Eubanks, 2018) a définitivement scellé le passage d’un État auparavant focalisé sur la résolution des crimes et la punition des auteurs, à celui qui affiche désormais résolument son ambition à intervenir avant même la suspicion d’une d’infraction (Bennett Moses, Chan, 2018). Plusieurs constats empiriques attestent de la consécration de cet « État préventif » (Preventive State), parmi lesquels l’élargissement du panel infractionnel (Giudicelli-Delage, 2010; Philippe, 2022), la criminalisation des actes préparatoires à certaines infractions (Alix, 2020 ; Cahn, 2017), le recours plus systématique à des sanctions à durée indéterminée (Ferreira, Maugué, 2017), l’extension de la surveillance dans toutes les sphères d’activité humaine (Amicelle et al., 2017; Lyon, 2018), l’appel à l’hypervigilance et l’autoresponsabilisation (Delmas-Marty, 2020), ou encore la multiplication des acteur·ices, publics et privés, humains et non-humains, sur un marché de la sécurité toujours plus lucratif (Brayne, 2021).
1.1. Rationalités préventives
L’État préventif fournit une porte d’entrée analytique intéressante pour décrire, décrypter et déconstruire une série de développements qui peuvent sembler distincts mais qui suivent en fait une philosophie préventive similaire. L’expression, de Steiker (1998), réfère à l’ensemble des politiques, pratiques et outils (y.c. technologiques) déployés auprès de personnes présumées « dangereuses » avant même qu’une infraction ne soit commise et/ou après l’achèvement de leur peine, et implique l’ingérence la plus incisive de l’État dans les libertés individuelles.
Une grande partie de la recherche sur l’État préventif a été motivée par une préoccupation concernant l’extension exagérée du pouvoir de l’État et les préjudices individuels et collectifs qui en découlent (Zedner, Ashworth, 2019). Le principal problème de ce que Janus (2010) appelle la « prévention radicale » réside dans le fait que les mesures préventives tendent à échapper aux freins imposés par le droit (pénal) au pouvoir de l’État d’empiéter sur les droits fondamentaux. Poursuivant un objectif de défense sociale, l’État préventif est axé sur la détection et la mise hors d’état de nuire des individus présumés à « risque ». En d’autres termes, l’action de l’État s’inscrit dans une logique de « préemption » (Massumi, 2017), « où la suspicion et l’urgence sont des éléments centraux » (Bigo et al., 2008, 6). Pour être efficaces, les mesures préventives sont spécifiquement conçues pour contourner les contraintes imposées au pouvoir gouvernemental, à tel point qu’elles peuvent être considérées comme « contre-légales » (Janus, 2010, 24).
1.2. Rationalités hybrides
Pour certain·e·s auteur·e·s, l’État préventif présente toutefois des limites conceptuelles au motif qu’il associe l’extension préventionniste de l’appareil étatique à une volonté exclusivement répressive ou neutralisante, portée par des acteurs du système pénal et du renseignement. Or, comme le démontrent Heath-Kelly et Shanaah (2023), l’activité étatique dans le domaine précriminel est également caractérisée par un paradigme welfariste, issu de la prévention sociale du crime et convoquant d’autres acteurs que ceux préposés à la sécurité (Baillergeau, Hebberecht, 2012 ; Hebberecht, Duprez, 2001). On trouverait alors dans l’espace précriminel une « présence pénologique hybride qui emploie des programmes de réhabilitation individuelle en même temps que l’évaluation préemptive et actuarielle (« risk-based ») de la menace potentielle » (Heath-Kelly, Shanaah, 2023, 16). Baillergeau (2021) argumente de manière similaire que les intervenant·e·s de première ligne impliqué·e·s dans la PREVT arrivent à imposer d’autres approches dans cette « nébuleuse sociale-sécuritaire » (Baillergeau, 2008), allant dans le sens d’une résistance contre la « pénalisation du social » (Mary, 2003 ; Franssen et al., 2019) ou « la re-colonisation des politiques sociales par des logiques sécuritaires » (Ragazzi, 2017, 172).
Si l’État préventif en matière de contreterrorisme est effectivement caractérisé par le paradigme répressif et/ou neutralisateur dans les sphères d’intervention qui touchent aux personnes étrangères, binationales et au domaine de l’asile et qui se manifeste à travers notamment l’expulsion, l’interdiction d’entrée sur le territoire et la déchéance de nationalité (Von Rütte, 2022), dans le champ de la prévention « molle», les pratiques échapperaient, elles, aux seules logiques offensives (Shanaah, Heath-Kelly, 2023).
Cette hybridation des approches répressives et welfaristes se lit par exemple déjà dans les protocoles du premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, qui recommandait aux États de développer des mesures réhabilitatives dans le domaine infra-pénal – appelé alors « prédélinquance ». Référant expressément aux « […] cas où il n’y a pas encore eu violation de la loi », le rapport du Secrétariat enjoignait alors les États à se pencher « sur le problème de l’action préventive dans des secteurs déterminés […] à savoir la collectivité, la famille et l’école, les services sociaux et les autres institutions » (Nations Unies, 1956, 44).
La logique selon laquelle la prévention des violences devrait impliquer les services et les acteur·ice·s qui font partie de la toile du care est donc ancienne (Baillergeau, 2008), et la manière dont l’État préventif opère dans le contexte de la PREVT heuristiquement féconde pour voir s’opérationnaliser l’activation conjointe des paradigmes welfaristes et sécuritaires.
1.3. Rationalités disciplinaires
La présence d’approches welfaristes dans une forme de prévention dominée par des impératifs sécuritaires a été investiguée comme une forme de biopouvoir servant à discipliner les sujets, en particulier ceux associés à l’islam. Coppock et McGovern (2014) proposent une lecture des campagnes de prévention au Royaume-Uni comme une forme de « régulation et contrôle social injustifiable de la jeunesse britannique musulmane », érigée en communauté de suspects, appréhendés au mieux comme particulièrement « vulnérables » à la radicalisation, au pire comme des « terroristes en puissance » (« would-be-terrorists ») :
« [L]es agences d’éducation et de protection sociale sont désormais stratégiquement positionnées en première ligne de la « guerre contre le terrorisme » – recrutées pour opérer une normalisation des technologies qui servent à reconstruire le « moi » de l’enfant musulman en fonction des intérêts de l’État. Les praticiens des services à l’enfance et à la jeunesse se voient ainsi confier un rôle central dans le maintien de l’ordre et la disciplinarisation « molle » des enfants et des jeunes musulmans britanniques » (Coppock, McGovern, 2014, 252).
De manière similaire, Ragazzi (2017), suivant Kundnani (2012) et Sabir (2017), dénonce l’utilisation de théories pseudo-scientifiques dans le travail de prévention « molle », qui aurait la propension à vouloir localiser les origines de la violence dans certains comportements ou certaines catégories sociales :
« Ces catégories officielles de suspicion, parce qu’elles ne reposent pas sur une compréhension processuelle, structurelle et politique de la violence politique, sont vouées à produire des catégorisations arbitraires, orientant les pratiques répressives vers des catégories racialisées » (Ragazzi, 2017, 171).
Dans le même ordre d’analyses, Rodrigo Jusué (2022) montre comment les stratégies de contreterrorisme utilisent des tactiques discursives pour créer des « CT citizens » (CT pour « counterterrorism »), animés par un sens de responsabilité, de soin (care), et de protection, notamment des enfants. Selon l’auteure, cette stratégie promeut une subjectivité active, appelant les citoyens et citoyennes à participer activement aux efforts contreterroristes. Enfin, pour le contexte suisse, Naji et Schildknecht (2021) proposent une lecture des politiques de prévention comme des instruments « bio- et ontopolitiques » (p. 484) « qui permettent de contenir l’Autre. Les liens d’une ontologie politique racialisée de la menace autour du Gefährder [allemand pour « celui qui menace »] et de leurs propriétés affectives et corporelles permettent à l’État-nation de contrôler et de discipliner ces individus » (p. 498).
2. Politiques et pratiques PREVT
Tant la Belgique que la Suisse disposent d’appareils pénaux et administratifs importants pour « lutter contre le terrorisme », reflétant les tendances internationales de l’avènement de l’État préventif analysé dans la littérature. Au plus tard à partir de 2016, les deux pays ont par ailleurs largement développé leur dispositif de prévention « molle » dans le domaine.
2.1 En Belgique
La Belgique s’est dotée d’un cadre d’intervention important dédié à la PREVT, notamment à l’appui de plusieurs plans d’action successifs. S’appuyant sur le Plan d’Action Radicalisme (« Plan R ») mis en place en 2005, le « Plan M » (Plan Mosquées) élaboré fin 2002 suite aux inquiétudes liées au terrorisme inspiré par Al-Qaïda, a été réformé en 2015 face au phénomène des « Foreign Terrorist Fighters » (OCAM, 2021). Bien que des attentats aient eu lieu avant 2015[2], c’est à la suite du démantèlement, en janvier 2015, d’une cellule à Verviers liée au groupe « État Islamique » (ci-après : Daech), et les attentats de Paris en novembre 2015, perpétrés au nom du même groupe, que le renforcement du dispositif s’accélère (Thomas, 2020). A l’issue des événements du 22 mars 2016, une Commission parlementaire est chargée d’examiner « les circonstances qui ont conduit aux attentats […] y compris l’évolution et la gestion de la lutte contre le radicalisme et la menace terroriste », amorçant le déploiement des activités PREVT au niveau opérationnel (Boussois, 2017, 180). La nouvelle note stratégique « extrémisme et terrorisme » (« stratégie TER ») est adoptée en septembre 2021 (OCAM, 2021). Elle propose une collaboration plus étroite entre les différents services, une confiance accrue et un renforcement mutuel des approches sécuritaires et socio-préventives (OCAM, 2021). L’objectif de la note stratégique est de donner un cadre commun à l’action de prévention, tout en respectant les méthodologies et les contraintes légales de chaque service et chaque niveau de pouvoir. Elle semble d’ailleurs reconnaitre les limites des approches offensives qui ont dominé la politique de prévention jusqu’en 2015, en soulignant que « cette approche sécuritaire des phénomènes s’est avérée insuffisante, la société inclusive devant être la principale arme de la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme » (OCAM, 2021, 4).
L’OCAM préside la Taskforce nationale (TFN) qui est chargée de faire le lien entre la politique et la pratique en matière de prévention de la radicalisation (OCAM, 2023). Elle le fait notamment via les Taskforces locales (TFL) décentralisées. Les TFL disposent d’une composante stratégique, organisée à l’échelle des arrondissements judiciaires, et d’une composante opérationnelle, déployée au niveau des communes. Les TFL opérationnelles réunissent principalement des acteur·ice·s sécuritaires, comme des membres de l’OCAM, du service de renseignement, de la police ou du parquet. Elles sont chargées d’alimenter la Base de Données Commune (BDC) et de prioriser les interventions sur le terrain en fonction de celle-ci. Si les TFL représentent le côté répressif de l’appareillage antiterroriste belge, les cellules de sécurité intégrale locales (CSIL-R) en représentent le volet socio-préventif. Un membre de la police locale, appelé « Information Officer », fait le lien entre chaque TFL et CSIL-R.
Les CSIL-R représentent, selon la note stratégique, le « niveau le plus proche du citoyen pour prévenir, déceler, mais aussi apporter un trajet de réintégration aux cas plus problématiques » (OCAM, 2021, 12). Ancrées dans le contexte local, elles réunissent habituellement les services sociaux et les autorités communales respectives. Les CSIL-R, dont la méthodologie se distingue parfois radicalement de celle des acteur·ices sécuritaires, se voient régulièrement exposées à des pressions qui visent à les contraindre au signalement de personnes ou de situations inquiétantes. La loi du 17 mai 2017[3] prévoyait même une disposition dans le Code d’instruction criminelle contraignant les travailleur·ses sociaux·les à déclarer des « informations pouvant constituer des indices sérieux d’une infraction terroriste ». Après une levée de bouclier au sein des CSIL-R, la disposition litigieuse a été annulée, la Cour constitutionnelle estimant que les travailleur·e·s sociaux·les n’auraient « ni la compétence, ni les moyens » de détecter une intention de commettre une infraction terroriste[4]. Depuis 2023, un décret prévoit la participation conjointe des acteur·ice·ssocio-préventif·ve·s et sécuritaires au sein des CSIL-R[5].
En ce qui concerne la Belgique francophone, une particularité consiste en l’existence d’un service spécialisé : le Centre d’Aide et de Prise en charge de toute personne concernée par les Radicalismes et Extrémismes Violents (CAPREV). Il est chargé de la réinsertion sociale des personnes condamnées pour des infractions en lien avec le terrorisme ou « signalées » comme radicalisées, notamment au sein du système pénitentiaire. Le CAPREV représente donc un système centralisé de prise en charge (Mine et al., 2022).
2.2 En Suisse
C’est en 2015 que le Conseil fédéral adopte la stratégie nationale de contreterrorisme, avec l’objectif de protéger « la Suisse et ses intérêts » du terrorisme. La stratégie couvre quatre domaines, à savoir la prévention, la poursuite pénale, la protection et le management de crise (Conseil fédéral, 2015)[6]. Révisée en 2024, la stratégie élargit désormais la notion de terrorisme « sans en viser une exclusivement ; elle ne met plus l’accent uniquement sur le djihadisme, mais inclut également le terrorisme issu d’autres idéologies extrémistes » (Conseil fédéral, 2024). Le volet socio-préventif de la stratégie est matérialisé dans un Plan d’action national de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent (PAN). Adopté fin 2017, il fait suite à une recommandation du Réseau national de sécurité de développer des stratégies locales afin de poursuivre une « approche intégrée » qui mise sur la « collaboration et l’échange d’informations entre les différents acteur·ice·s-clés pour détecter la radicalisation violente extrémiste le plus tôt possible »[7]. En moyenne, 12 programmes et structures PREVT sont financés par année depuis 2018, leur nombre total étant de 75 pour la période 2018-2024[8].
Le PAN formule 26 recommandations dans les domaines de l’éducation, de la société civile et de l’intégration, dans le domaine pénitentiaire et au niveau de la collaboration entre différentes autorités, y compris de sécurité[9]. Renouvelé pour la période 2023-2027, il comprend désormais 11 mesures dans quatre champs d’action, à savoir : 1. l’identification et la réduction des causes de la radicalisation, 2. la sensibilisation et l’amélioration de l’état des connaissances, 3. la mise en réseau et la gestion de l’information et 4. l’intervention auprès des personnes menacées et radicalisées. Faisant écho aux recommandations du PAN et financés par son programme d’impulsion, divers dispositifs sont mis en place graduellement à l’échelle des cantons et des communes, notamment des unités de gestion des menaces, réunissant les acteur·ice·s des champs sécuritaire et social sur des situations et des personnes présumées « à risque »[10] ainsi que différentes plateformes de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent appelées à collaborer[11]. Pour le surplus, depuis 2017, la Loi fédérale sur le renseignement (LRens) oblige une large palette de services (y. c. du domaine de l’intégration, de l’asile et du contrôle des habitants) à fournir des renseignements au Service de renseignement de la Confédération et toutes autorités publiques à communiquer des renseignements en cas de « menace concrète » provenant du terrorisme ou de l’extrémisme violent.
En 2021, le PAN fait l’objet d’une évaluation externe (Ecoplan, 2021), notamment sur l’opérationnalisation in concreto des politiques de prévention de la radicalisation au sein des structures a priori non sécuritaires impliquées, dont l’extrait ci-après est particulièrement révélateur des tendances à l’hybridation dans le champ de la PREVT :
« C’est notamment grâce au PAN que le sujet a éveillé l’attention d’organisations autres que les autorités de sécurité traditionnelles. Les personnes travaillant dans le domaine de l’asile, auprès des services sociaux ou dans des associations sont par exemple aujourd’hui davantage sensibilisées, ont parfois suivi des formations et savent mieux vers qui se tourner en cas de soupçon. Ce profond enracinement est très important pour garantir le succès de la prévention et contribue également à détecter précocement les tendances à la radicalisation » (Ecoplan, 2021, 19).
En même temps, l’évaluation relève que certaines hésitations persistent et qu’il faudra du temps pour les réduire :
« Dans le sondage et dans nos entretiens, il a été mentionné à de multiples reprises que dans le domaine scolaire et social ainsi que dans la société civile, les gens sont parfois très réticents à aborder le thème de la radicalisation et de l’extrémisme violent. Cette importante réticence se retrouve aussi dans l’annonce des cas suspects aux autorités compétentes. […] Le plan d’action national a été introduit il y a quatre ans, ce qui n’est vraisemblablement pas suffisant pour supprimer toutes les barrières » (Ecoplan, 2021, 20).
2.3. Points de rencontre
Alors que les deux pays présentent une juxtaposition de compétences fédérales, régionales ou communautaires, là où on observe en Belgique une multiplication de plans d’action, stratégies et sources de financement en matière de PREVT, en Suisse, un seul plan d’action sert d’orientation pour les cantons et les communes, doté d’une seule source de financement. Pour le surplus en revanche, les deux pays ont emprunté des chemins très similaires.
Même si la Belgique a entamé son activité stratégique déjà au milieu des années 2000, suite aux attentats de 2001 aux États-Unis, puis ceux de 2004-2005 en Europe, au niveau opérationnel, sa stratégie ne s’est réellement déployée sur le terrain qu’à l’issue des attentats de 2016. En Suisse, l’activité socio-préventive s’est matérialisée suite à l’adoption du premier plan d’action, dès 2018.
Leur « champ d’action » porte sur le « terrorisme », l’« extrémisme » et la « radicalisation »[12]. En ce qui concerne la notion de terrorisme, il est référé dans les deux pays un recours effectif à la violence. S’agissant de la notion d’extrémisme, il lui est arrimé dans les deux pays une dimension anti-démocratique et contraire aux principes de l’État de droit, mais là où la Suisse y associe déjà des actes de violence, la Belgique évoque des « conceptions ou visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires ». Quant à la notion de radicalisation, elle renvoie dans les deux contextes à « un processus » et une « disposition croissante » à utiliser la violence pour imposer son point de vue et atteindre ses objectifs. On note également dans les deux stratégies un soin particulier porté à concevoir la radicalisation largement, au-delà d’une adhésion aux thèses et aux modes opératoires inspirés d’Al-Qaïda ou de Daech. Ainsi le nouveau PAN suisse se veut agir sur différentes formes d’extrémisme : l’extrémisme de droite, de gauche, monothématique, islamiste, ou alors ethno-nationaliste. Pour la Belgique, les Groupes de Travail s’intéressent également aux extrémismes de gauche, de droite, ou encore liés au « Caucase du Nord » (OCAM, 2021). Les critiques internationales et nationales soulignent toutefois que les définitions de la « radicalisation », de l’« extrémisme » ou encore du « terrorisme », demeurent trop vagues et ouvrent la porte à des restrictions excessives de la liberté d’expression de certains groupes ou certaines mouvances politiques[13].
Enfin, en termes d’attribution des compétences et des ressources en matière de PREVT, les deux pays ont fait le choix de les allouer essentiellement à l’échelon local (dans le même sens, Andersson Malmros, 2022).
3. L’opérationnalisation des logiques préventionnistes sur le terrain
Deux champs de tensions au sein du travail de PREVT ressortent de l’analyse des propos recueillis auprès des professionnel·le·s que nous avons rencontré·e·s. D’une part, des tensions entre le « macro » et le « micro », révélatrices de la pénétration de discours politiques et médiatiques promouvant l’association entre terrorisme et islam dans leurs activités quotidiennes. D’autre part, des tensions entre des logiques répressives et celles à dominance socio-préventive, vouant les intervenant·e·s à un difficile jeu d’équilibriste. Dans les chapitres suivants, ces thèmes transversaux sont illustrés à l’appui de verbatims qui représentent les positions partagées de la majorité des participant·e·s.
3.1. Résister à l’essentialisation : « Le poids du djihad »
Les intervenant·e·s traduisent un certain malaise face à des discours publics qu’ils ou elles estiment essentiellement focalisés sur un type de phénomène, jalonnés de stéréotypes et en décalage avec leurs réalités. A leurs yeux, ces discours participent à une construction sensationnaliste des violences politico-idéologiques :
Je pense que si on dédramatisait tout ça un petit peu, ça ne ferait pas de mal. On dramatise beaucoup trop les choses. (Sacha, Suisse)
Là où pour certain·e·s professionnel·le·s, ce sont les appareils politiques et médiatiques qui favorisent un tel cadrage :
Il y a toujours un décalage entre les médias et puis la réalité quelle que soit la thématique […]. Après il y a le politique aussi, car le langage politique n’est par définition pas scientifique. Il faut réussir à réunir tout ça. (Sam, Suisse)
Pour d’autres, ces raccourcis s’expliquent aussi par une certaine propension du monde politique à démontrer qu’il « fait quelque chose », quand bien même le travail socio-préventif sur le terrain, inscrit dans la durée et axé selon leurs termes « sur le relationnel », se prête mal à une temporalité de l’urgence :
On multiplie les solutions, les réactions, les machins. Et puis en fait, on perd un peu le rationnel derrière ça. On réagit parce que c’est notre défense : il faut réagir, il faut trouver des solutions, il faut faire, il faut faire, il faut faire. Mais parfois, […] il faut supporter aussi de ne pas pouvoir faire grand-chose. (Camille, Suisse)
Ces discours et injonctions imprègnent particulièrement l’échelon local où sont implantés les dispositifs liés à la PREVT. Les intervenant·e·s relaient ainsi se retrouver en dissonance non seulement par rapport au niveau macro vu comme détaché du terrain, mais aussi face au niveau mezzo qui constitue leur première porte d’entrée sur la thématique, dès lors qu’ils et elles ne sont pas missionné·e·s pour identifier des situations proactivement, mais dépendent de ce qui est perçu comme problématique ou « à risque » par la population et les services partenaires qui les activent. A cet échelon, le travail de prévention se voit ainsi façonné par le traitement politico-médiatique de l’actualité et la réception qu’en ont les populations et les services locaux. Il suffit d’un événement présumé en lien même éloigné avec le sujet qui les occupe, pour que l’hypervigilance de la société civile et des partenaires augmente, précipitant d’autant les signalements. Comme l’exprime Rebecca (Belgique) :
Mon travail est fonction de la médiatisation de la problématique. Quand il y a un événement lié au terrorisme, les gens deviennent plus sensibles, commencent à développer une suspicion, notamment face aux comportements liés à la religion.
L’ensemble des professionnel·le·s rencontré·e·s s’accordent pour souligner combien les violences médiatisées renforcent un sentiment de peur et d’incertitude qui peuvent favoriser une posture de rejet de l’Autre, perçu comme différent ou dangereux. Frédérique (Suisse) y voit un lien avec la façon dont la population a réagi à la pandémie de Covid-19 :
Regardez ce qu’il s’est passé pendant le Covid. Les gens avaient peur de leurs voisins, des gens ont tous eu peur les uns des autres et du coup, ça génère des situations de rejet qui vont parfois renforcer des situations qui ne sont pas aussi graves que ça, mais qui vont tout à coup les précipiter ou conforter des gens dans des postures de retrait de la société, quels qu’ils soient.
Dans le domaine de la PREVT, cette peur est de nature différentielle. Elle concerne un « Autre » en particulier : l’Autre musulman. Tant en Suisse qu’en Belgique, les intervenant·e·s rapportent que la grande majorité des inquiétudes ou situations qui leur sont relayées sont d’une manière ou d’une autre « liées à l’Islam ». Le cas typique étant celui d’inquiétudes liées à la conversion d’un enfant, situation souvent rapportée par les parents. Quand bien même les politiques publiques se veulent transversales et non réduites à une forme de « radicalisme » en particulier, l’attention sur le terrain se focalise sur une seule, scellant un imaginaire collectif dominant de la notion de radicalisation associée à la violence inspirée par des groupes comme Al-Qaïda ou Daech, et qui a pour conséquence que le public associe les « risques terroristes » à la religion islamique. Dans ce contexte, l’étiquette de « radicalisé·e » est aisément associée à une forme de « radicalisation islamique ou islamiste » et contribuerait à cimenter une « identité déviante » :
On essaie toujours de retarder l’hospitalisation dans des unités spécialisées dans la prise en charge des troubles alimentaires parce qu’il y a quelque chose d’identitaire. Ça y est je suis hospitalisée dans un espace réservé aux anorexiques, “je suis anorexique”, “je suis radicalisée”. Des fois, je me demande si on ne participe pas à leurs dérives identitaires. (Camille, Suisse)
Ce « labelling » s’avère plus tenace encore dans le domaine de la prévention tertiaire, déployée auprès des populations judiciarisées : au biais induit par l’imaginaire collectif s’ajoute celui du traitement pénal des infractions liées au terrorisme. Raphaël (Belgique) estime que 95% des cas traités par son service, qui opère sur tous les niveaux de prévention (primaire à tertiaire) en Belgique, ont un lien avec le djihadisme. Il confirme par son expérience que les personnes condamnées pour terrorisme sont presque exclusivement des personnes affiliées de près ou de loin à des groupes proscrits d’obédience djihadiste, tels que Al-Qaïda ou Daech.
Face à cette tendance lourde, les intervenant·e·s tentent de résister. Plusieurs nous ont ainsi relayé·e·s l’importance qu’ils et elles attachent à démystifier certaines appréhensions stéréotypées qui peuvent exister par rapport à l’islam :
Dans la formation [des intervenant·e·s] on a effectivement ciblé l’islam notamment pour diminuer les préjugés et aussi donner deux-trois clés de lecture sur l’islam. Donc ça c’était déjà un point. […] Les collègues ont dit « ouais ça on a besoin pour mieux comprendre l’islam, pour éviter de tomber dans les préjugés » (Sam, Suisse)
De la même manière, ils et elles tentent de se distancer de tout amalgame entre des comportements réellement violents et des croyances perçues comme étant problématiques. Dans ce cadre, ils et elles veillent à apporter des nuances entre certaines « causes » et la violence :
Le processus n’est pas nécessairement progressif. Et puis l’aspect passage à l’acte et l’aspect conviction sont deux éléments distincts. (Sacha, Suisse)
Une autre façon de résister consiste pour elles et eux à s’engager dans des actions de sensibilisation auprès du grand public, notamment via des interventions dans les écoles, les services de la jeunesse ou encore ceux liés à la migration, en insistant sur le fait que la radicalisation est à concevoir au sens large, au-delà des formes de dérives liées à un extrémisme d’obédience islamiste :
J’ai pensé que le travail à faire était de sensibiliser les gens. Donc j’ai mis en place un module de sensibilisation, parce que je ne fais pas de l’information, je n’ai pas la prétention d’un professeur, mais de la sensibilisation et de la prévention de la radicalisation, sur la base de la définition qui a été proposée, donc, c’est un module large. C’est-à-dire que nous sortions d’une grande période où la radicalisation était, et à juste titre, à l’époque, assimilée à l’islamisme politique et religieux. Je voulais aller plus loin et expliquer que la radicalisation est un processus qui s’apparente à beaucoup d’extrémismes, mais pas seulement à celui-ci. Et si l’on ne définit pas assez bien l’objet même de la radicalisation, on risque de passer à côté de beaucoup de situations qui pourraient potentiellement être aussi dramatiques (Rebecca, Belgique).
Ils et elles rapportent aussi s’investir dans la sensibilisation auprès d’autres professionnel·le·s, notamment du système pénal, et en particulier auprès de celles et ceux au bénéficie d’une certaine autorité pour rediriger des cas vers les services de type PREVT, en soulignant que d’autres formes de violence, par exemple les crimes de haine, peuvent parfois revêtir un arrière-plan idéologique et dès lors devraient aussi leur être relayées.
La prévention universelle sur la radicalisation, c’est aussi dire que ce n’est pas que l’islam. Ça je pense que ce sont les messages extrêmement importants. De le nommer quand bien même ce qui inquiète aujourd’hui le plus ce sont effectivement les islamistes, et bien je pense que les questions autour des antivax violents peuvent aussi être traitées (Sam, Suisse).
Plus subrepticement, tenir à distance la focale sur un seul type de violence politico-idéologique résulte aussi chez certain·e·s intervenant·e·s de la PREVT de leur embarras à se saisir de questions d’ordre religieux et théologique, préférant travailler avec des outils de la prévention sociale dont ils et elles estiment avoir la maitrise et suffire à leur mission :
Donc là, un travailleur social qui fait bien son travail n’a pas besoin d’être un expert en islam ou en radicalisation. (Dominique, Suisse)
D’autres participant·e·s confirment qu’ils et elles « ne travaillent pas sur le fait religieux » (Raphaël, Belgique), mais dans l’accompagnement psychosocial, conçu largement. Dominique et Sam (Suisse) expliquent que la sensibilisation aux thématiques entourant la radicalisation peut à satisfaction être adressée par les nombreux outils du travail social, un domaine qui privilégie un accompagnement personnel et social « holistique ». A leurs yeux, cette non-spécialisation permet une certaine flexibilité pour accueillir différentes formes de mobilisations ou de dérives susceptibles d’être perçues comme radicales ou extrêmes. En cela, la posture de « non-spécialisation » ou de résistance à l’« idéologisation » de l’intervention se retrouve en accord avec la stratégie générale dans les deux pays de travailler sur tous les « types » de radicalisation.
A contrario, plusieurs des personnes rencontrées ont évoqué s’être greffées à la thématique en raison du soutien étatique qui lui était accordé. Même s’ils et elles faisaient de la prévention sociale au sens large, ou qu’ils et elles travaillaient avec la communauté musulmane au niveau de l’intégration ou de l’échange culturel, ils et elles ont reconnu un intérêt opportuniste pour la prévention de la radicalisation concomitant aux ressources qui lui étaient allouées :
Je faisais toujours de la prévention. J’étais impliqué avec ces jeunes. Mais je fais tout ça en tant que bénévole. Et ce n’est pas facile. Je sais que mon travail est important, mais j’ai une famille, et je travaille 150% pour 20% de salaire. Alors pour moi…je fais de la prévention, c’est la prévention de la radicalisation aussi. Parce qu’ils [donneurs de fonds] aiment entendre ça, alors je le décris comme ça. (Samia, Suisse)
Si de telles décisions sont compréhensibles d’un point de vue économique pour des acteur·ice·s de la société civile dont les activités sont peu valorisées et rémunérées, elles montrent le caractère malléable de la notion de radicalisation, qui permet à toute une série d’acteur·ice·s de se l’approprier facilement :
Tout d’un coup, il y avait des moyens mis à disposition pour la radicalisation, mais pour les autres thématiques, ça diminuait. Je connais pas mal de monde qui ont pris les subsides pour continuer à faire ce qu’ils faisaient avant ! (Cédric, Belgique)
Cette malléabilité fait l’objet de critiques de la part de plusieurs intervenant·e·s, comme Alex, impliqué dans une structure belge, qui craint en outre une instrumentalisation politique des dispositifs pour d’autres groupes perçus comme « radicaux » ou « extrémistes », par exemple les activistes climatiques.
En définitive, si les discours publics qui problématisent le sujet au niveau macro sont aux yeux des professionnel·le·s que nous avons rencontré·e·s erronés et décontextualisés, toutes et tous estiment qu’ils influent considérablement sur les réactions sociales l’entourant au niveau mezzo et par répercussion sur leurs pratiques d’engagement au niveau micro. Le cadrage dominant est tel qu’il réduit la radicalisation, l’extrémisme et le terrorisme à des « dérives » identitaires ou religieuses liées à l’islam. A l’échelon local, ces représentations associent donc les « indices de la menace » à une certaine frange de la population, sujette alors à des traitements différentiels. Dans un tel contexte, les intervenant·e·s tentent de résister à l’essentialisation, en particulier par la déconstruction et la sensibilisation proactive, mais peuvent aussi s’y accommoder, à tout le moins en façade, lorsqu’il s’agit d’obtenir des financements dédiés.
3.2. Naviguer l’espace hybride : « Je t’aime moi non plus »
Le deuxième nœud de tensions rend compte de la cohabitation entre les approches répressives et socio-préventives dans le domaine de la PREVT. Sur ce point, nous observons dans les deux pays une sorte d’apprivoisement mutuel graduel entre des corps de métiers qui se regardent traditionnellement plutôt d’un œil méfiant. Travailler sur les questions liées à la PREVT a forcé les acteur·ice·s « du social » à découvrir les acteur·ice·s « du sécuritaire » – membres de la police ou des services de renseignement – mû·e·s par d’autres paradigmes et prérogatives :
On arrive de plus en plus à se comprendre. Le [service de renseignement] était d’abord fort dans une logique sécuritaire, mais petit à petit s’est intéressé au préventif. Au début, on se demandait : mais pourquoi ils s’intéressent à ça, c’est quand même pas leur rôle. Mais ils s’ouvrent à ça notamment car ils se rendent bien compte […] qu’à un moment donné les gens qu’ils suivent ont déjà vachement cheminé, ont été accompagnés par une série de services, et qu’il faut arrêter le suivi [sécuritaire] d’une certaine manière. (Marion, Belgique)
Les deux corps de métier travaillent selon des « temporalités » distinctes. Là où la police peut pour ainsi dire réagir dans l’urgence à une situation, le travail sociopréventif requiert du temps pour faire connaissance, établir une confiance, coordonner les acteur·ice·s-clés et mettre en place une action individualisée :
Pour vous donner un exemple négatif. Il y a une maman qui vient me dire que son fils risque de partir [en Syrie], qu’elle n’arrive plus à avoir de relations avec lui. On commence à rencontrer la famille, établir la confiance. Et à ce moment-là, le fils part. On se sent un peu démuni, et c’est triste. Je ne dirais pas qu’on aurait pu faire plus, nous n’avons simplement pas les compétences pour. Il nous faut plus de temps. Souvent, les situations nous parviennent quand il est trop tard. (Cédric, Belgique)
Si plusieurs intervenant∙e·s expriment avoir éprouvé la crainte, en travaillant avec des acteur·e·s « sécuritaires », de passer pour « une balance », « un vendu », « le bras droit de la police », ou « celle qui est passée de l’autre côté », voire un « climat de défiance » à leur égard, d’autres évoquent, non sans plaisir dissimulé, l’influence graduelle de logiques socio-préventives dans le travail de leurs « partenaires » :
En fait, ce qui m’a vraiment complètement changé, c’est que j’ai compris qu’ils faisaient de la prévention. […] Parce que pour moi, justement, des policiers, ça ne faisait que de la répression, qu’on allait se retrouver dans des systèmes de fiches […]. C’est vrai que maintenant, moi je considère que le partenaire sécuritaire, au niveau de la police, c’est un partenaire qui est très précieux dans cette logique de travail interdisciplinaire. (Maxence, Suisse)
Les acteur·ice·s de ces champs a priori difficilement conciliables, disent avoir dû apprendre à se connaître, à se faire confiance, mais également à communiquer ensemble, quand bien même leurs rapports ont pu initialement être très connotés :
Au début, avec le [service de sécurité], c’était pas facile, il avait clairement une mentalité sécuritaire, j’étais un peu vue comme fleur bleue. Mais avec le temps et des discussions avec d’autres services sécuritaires, ça commençait à mieux se passer. (Rebecca, Belgique)
Ils et elles rapportent aussi avoir développé des stratégies de collaboration justifiées par l’urgence et la prééminence du risque de violences :
Mais en dehors de ces structures [formelles], j’arrivais à communiquer avec la police pour échanger des informations importantes. On a appris à se faire confiance. Moi, Cédric, je tisse un lien avec le policier. Le policier connaît le travail de Cédric. On sait ce que Cédric fait. On fait confiance à Cédric. Comme ça, on arrivait à produire des résultats concrets. (Cédric, Belgique)
Il s’agit d’un équilibre délicat, qui est également fonction de l’actualité. Nina, active dans une municipalité touchée récemment par une attaque au couteau commise par une personne qui y réside, l’explique comme suit :
Il y a beaucoup de bienveillance au sein de [la structure]. Par contre, cela risque de changer, très probablement. Avec la nouvelle ordonnance[14], il y aura davantage de partage d’infos, c’est inévitable. Dans un contexte de durcissement, on va toujours renforcer la dimension sécuritaire. (Nina, Belgique)
Dans les périodes de « calme relatif » en revanche, les acteur·ice·s « du social » semblent voir une plus-value dans la présence du volet sécuritaire, en ce qu’il permet de stabiliser l’intervention, lui donner un cadre formel et des limites au-delà desquels l’action répressive est déclenchée. Les approches sociales et plus répressives sont vues alors comme les maillons d’une même chaîne, vouée à « un bien-être collectif » :
Il faut de la sécurité, il faut des lois, il faut des gens qui contrôlent l’application des lois, qui sanctionnent parce que la loi ou les règles sont liées à des valeurs de vivre ensemble. […] Les règles sont liées à des valeurs, des visions de faits de société. C’est en ça que je trouve que la sécurité et le social se rejoignent. Quand bien même quand tu mets ensemble un policier et un travailleur social, peut-être qu’ils ne vont jamais réussir à s’entendre en échangeant entre eux, mais ça reste des agents du bien-être collectif. Ça reste compliqué hein, ce que je dis ce n’est pas loin de l’utopie et ça ne marche pas toujours très bien, mais je pense que c’est toujours des choses qui doivent se réaffirmer. (Sam, Suisse)
Cette articulation doit néanmoins reposer aux yeux des intervenant·e·s sur une délimitation claire des rôles et des compétences de chacun·e :
[…] pour moi, c’était clair qu’on pouvait travailler ensemble. Mais on était chacun dans notre champ. Ce n’était pas à moi de faire le flic et ce n’était pas à eux de faire le travailleur social. Donc on a dû se mettre d’accord sur ce que faisaient les uns et les autres. […] Au fil du temps, je suis peut-être un travailleur social qui a appris à parler police si vous voulez. […] On a toujours des avantages, une valeur ajoutée à travailler ensemble et puis pas à ne se mettre ni en compétition, ni en opposition. (Frédérique, Suisse)
Il serait crucial ainsi de demeurer vigilant·e·s sur les champs de compétence respectifs, et de bien les délimiter sans pour autant nier leur complémentarité. Une articulation qui de l’aveu des participant·e·s à cette recherche leur permet de se décharger, en quelque sorte, des responsabilités souvent très lourdes inévitablement liées au domaine :
Le sécuritaire c’est comme une soupape pour moi, aussi en termes de responsabilité. Parce que quand je passe le dossier au [service sécuritaire], c’est entre leurs mains, ils ont le ‘lead’. J’aurai fait ce qu’il fallait avec mes compétences. Bien sûr, c’est avec le consentement [des personnes qui ont sollicité le service], mais ça n’a jamais posé problème. Parce qu’une fois qu’on en arrive là, tout le monde est d’accord pour activer le sécuritaire. (Rebecca, Belgique)
Pour d’autres, il peut même être pertinent de s’approprier la casquette sécuritaire pour renforcer leur travail d’intervention, comme l’illustrent les extraits suivants :
C’était un choix de ma part. J’ai fait en sorte d’être la première personne qu’il rencontre, avant la police. Donc j’incarnais les mesures de contrainte, j’avais un double rôle. Je suis là pour te faire respecter ces mesures de contrainte, et te dire comment te conformer pour que ça puisse se passer au mieux pour toi. […] on a reposé un cadre qui était extrêmement serré ». (Bruno, Suisse)
La meilleure chose, c’est quand le sécuritaire impose le préventif. Cela marche bien pour la toxicomanie, ça nous donne un cadre pénal pour travailler de manière préventive avec la personne sur ses demandes et ses besoins. Mais on fait pas beaucoup ça en matière de radicalisation. Pour cette thématique, il faut du sécuritaire à mon avis (Cédric, Belgique)
Dans tous les cas, une certaine dialectique entre ces deux pôles est présente dans tous les propos recueillis, voire matérialisée sous l’égide de chartes de fonctionnement et autres lignes directrices, développées par les professionnel·le·s pour diligenter leurs relations et en particulier l’échange de données personnelles. Cet échange est parfois exprimé aussi dans la loi. En Belgique, par exemple à l’appui du décret de 2023 concernant les CSIL-R, alors qu’en Suisse, un seul canton francophone semble à date l’avoir réglé sous la même forme :
Ce décret fait suite notamment à une analyse juridique qui concluait au fait que dès lors que différents acteurs de différents domaines allaient travailler ensemble et donc communiquer des données sensibles, il était nécessaire d’avoir une base légale pour régulariser la chose. (Claude, Suisse)
Cette question du partage d’informations est à l’avant-plan des préoccupations exprimées par les intervenant·e·s. L’information sur une personne, une « situation », un « cas », devient extrêmement précieuse et l’objet de négociations constantes entre les acteur·ice·s du « social » et celles et ceux du « sécuritaire ». Elles peuvent parfois prendre des formes de subtiles, mettant à l’épreuve l’intervenant·e social·e :
Parfois, on sentait que les [membres de services sécuritaires] nous posaient certaines questions particulières, qu’ils essayaient de nous tester en quelque sorte, pour savoir si on avait telle ou telle information, si les informations avaient transité. (Raphaël, Belgique)
En quelque sorte, dans le domaine de la PREVT, l’information acquiert une valeur particulière, devient monnaie politique et vecteur de pouvoir, et permet à un·e acteur·ice d’imposer son autorité au sein de la gouvernance de la radicalisation. Cependant, l’extrait suivant indique également que la motivation derrière les réticences liées au partage de l’information ne sont peut-être pas toujours très claires aux yeux des intervenant·e·s, et traduisent par là une certaine insécurité ontologique :
Souvent j’ai l’impression que les professionnels, sur cette question de protection des données, c’est pour se protéger eux-mêmes plutôt que pour protéger le bénéficiaire. C’est-à-dire “Faut pas faire faux parce que si je fais faux on va me le reprocher”. Il n’y a pas “Je vais donner cette information parce que ça va être utile à la personne ou à la personne qui a été lésée”. C’est juste : “Je ne vais pas faire faux !”, puis du coup en fait le bénéficiaire disparaît, alors que la protection des données c’est pour protéger les bénéficiaires avant tout. (Sam, Suisse)
En lien avec la négociation du pouvoir lié à l’information, nous observons dans les récits recueillis des stratégies de louvoiement par rapport tant au partage de l’information… :
On essaie d’être le plus anonymisant possible, pas besoin de savoir le nom pour traiter la situation ou pour savoir quelle est la stratégie. Par exemple, j’ai des collègues policiers qui ont appris à ne plus dire “C’est quoi le nom ?”. Puis après de dire “bah en fait, on pense que c’est important quand même de savoir si cette personne est connue des services de police”. Eh bien, on n’était pas tous obligés d’avoir le nom. (Frédérique, Suisse)
… qu’à l’accès à l’information :
Je ne voulais pas avoir d’habilitation sécuritaire, je ne voulais pas travailler avec ce genre de données [confidentielles]. […] au départ, dans le partenariat avec [le département de justice], on nous a, d’une certaine manière, imposé de travailler avec les pièces judiciaires – tout ce qui est jugements ou expertises psychiatriques notamment, ou expertises spécifiques – et aujourd’hui on se dit que c’est intéressant pour être transparents et sur la même base avec les personnes. Et alors l’analyse de la menace, qu’on reçoit, qu’on montre et qu’on peut discuter avec les personnes pour les aider à comprendre ce qui est écrit, à quelque part se positionner par rapport à ce qui est écrit, et à voir comment elles peuvent faire pour essayer de faire changer cette analyse. (Marion, Belgique)
Le dernier extrait montre également comment les intervenant·e·s « du social » tendent à s’adapter et imposer une manière de faire qui se démarque de celle préconisée par les acteur·ices « du sécuritaire ». S’ils et elles sont tenu·e·s de se conformer en partie aux prémisses sécuritaires qui façonnent ce domaine, ils et elles naviguent à leur manière, en retrouvant leurs réflexes socio-préventifs axés sur la participation de la personne concernée.
Cette marge de manœuvre laissée à l’échelon local est appréciée par les acteur·ice·s dans les deux pays, dont certain·e·s mentionnent avoir même été jusqu’à créer leur propre cahier de charge :
Moi, je suis méga fière de bosser pour ça avec cet état d’esprit là, vraiment, avec cet état d’esprit, de l’intelligence et de cette échelle au niveau local. Ce n’est pas [la capitale] qui a décidé, mais il y a de la place qui est laissé à une forme de créativité. (Maxence, Suisse)
Quand je suis arrivée, il n’y avait rien. On voulait un référent radicalisme, mais rien n’avait été mis en place. J’ai donc dû créer mon poste en quelque sorte et je l’ai fait en m’appuyant sur ce que je connaissais, les instruments de la prévention sociale (Rebecca, Belgique)
Cette latitude a cependant pour corollaire qu’elle dépend fortement des « individualités et des personnalités », comme l’explique Nina (Belgique). En effet, dépendamment de la posture adoptée par la personne investissant le rôle de « référent·e » sur les questions de radicalisation, l’approche préconisée et les liens investis peuvent varier fortement d’un dispositif à l’autre.
En définitive, les intervenant·e·s « du social » évoluent entre méfiance, apprivoisement, jeux d’influences et fierté de pouvoir avoir un impact sur les activités des partenaires relevant du sécuritaire. Chacun·e essaye de tirer parti d’une collaboration pour amener l’autre sur son terrain, tout en profitant des prérogatives de cet autre – ici le partenaire issu « de sécuritaire ». Dans ce cadre, les informations dont disposent les personnes rencontrées sont cruciales et font la différence ; elles permettent de naviguer et de faire naviguer les partenaires.
4. Discussion : vers une sophistication (in)consciente du pouvoir contre-terroriste
Adressée par un corps de police suisse à des écoles, services de jeunesse, sociaux et d’intégration, la lettre ci-après résonne particulièrement avec le premier axe analytique ressortant des récits recueillis auprès des professionnel·le·s rencontré·e·s. Elle constitue en effet un exemple éclairant du « poids du djihad » tendant à instrumentaliser des acteur·ice·s non-sécuritaires dans la PREVT.
Détection précoce des sympathisants du djihad La police […] s’occupe intensivement des menaces djihadistes. Nous voulons détecter les sympathisants du djihad qui se radicalisent et prendre des mesures préventives à temps. Pour ce faire, nous avons besoin de votre soutien. C’est pourquoi nous vous prions de nous signaler à votre poste de police toute apparition ou comportement suspect, en particulier de la part d’adolescents et de jeunes adultes. Voici quelques caractéristiques qui peuvent être des signes d’une radicalisation : – changements extérieurs remarquables (vêtements, barbe) – manifestations soudaines de sympathie pour l’islam ou l’EI – retrait de l’environnement social – abandon soudain de l’école ou de l’apprentissage – irrégularités financières frappantes (assistance publique, office des poursuites) – navigation intensive sur Internet, notamment sur des sites de guerre ou de l’EI – indications de l’entourage (parents, collègues, employeurs, etc.). Il va sans dire que cette liste n’est pas exhaustive et que certaines particularités ne sont pas forcément le signe d’une radicalisation.Si vous remarquez des anomalies, nous vous prions de les signaler rapidement au service de police compétent. Veuillez demander à voir un supérieur. Votre communication sera bien entendu traitée de manière confidentielle.Nous vous remercions de votre précieuse collaboration. Votre police […] |
Tableau 3: Lettre d’un corps de police cantonale en Suisse, septembre 2015
Contrairement au wording générique des stratégies PREVT, le discours dominant présente les violences politico-idéologiquement motivées comme étant principalement, sinon uniquement, d’obédience islamiste (Beunas, 2019), mettant au défi les intervenant·e·s de la PREVT. En cela, nos observations rejoignent celles des travaux qui nous ont précédés (Bounaga, Esmili, 2020 ; Kundnani, 2012 ; Ragazzi, 2017). Comme le résume Younis (2021), la « contre-radicalisation » parvient à « dé-racialiser » son action, notamment à travers la sur-individualisation et psychologisation du phénomène :
« La contre-radicalisation représente donc une forme particulière de psychopolitique qui à la fois racialise et rejette la racialisation des musulmans en associant des vulnérabilités psychologiques sans distinction de couleur à la menace politisée pour la sécurité nationale » (Younis, 2021, 56s).
Cette tendance et le décalage « macro-micro » qui en résulte se voient consolidés par l’impact de l’actualité liée aux attentats terroristes et son cadrage, tels que le soulignent également Madriaza et al. (2017) pour lesquels un
« défi important soulevé par les intervenants est le fait que leur travail soit intimement lié aux événements et aux débats sociopolitiques actuels. Plusieurs intervenants européens expliquent par exemple que, cherchant à lutter contre l’islamophobie et le rejet de l’Islam au sein de leur pays, leurs interventions se voient affectées à chaque nouvel attentat […] Le travail prend ainsi un certain recul, par exemple face aux enseignants participant aux interventions dont les préjugés envers les musulmans et l’Islam se voient renforcés » (Madriaza et al., 118).
Dans un tel contexte, les logiques néolibérales à l’œuvre dans l’attribution des ressources (Kublitz, 2021) peuvent avoir pour effet, comme cela a été le cas pour certain·e·s de nos interlocuteur·e·s, de les inciter à se greffer à l’étiquette de la « radicalisation » pour obtenir des soutiens financiers.
S’agissant du deuxième axe analytique, nos analyses coïncident avec les arguments avancés par une partie de la littérature selon laquelle le travail de prévention de la radicalisation serait caractérisé par une « hybridité » des approches répressives et sociopréventives (Baillergeau, 2021 ; Heath-Kelly, Shanaan, 2023). En effet, nous constatons que les acteur·ices du « social », qui ont été formé·e·s dans des paradigmes qui contrastent souvent fortement avec le paradigme répressif, sont forcé·e·s, du fait du travail en réseau qu’impose la PREVT, à rencontrer, découvrir et mieux comprendre les acteur·ice·s sécuritaires, leurs préoccupations, mais également leur plus-value en termes de prévention « molle ». Ils et elles apprennent à s’approprier le volet sécuritaire tantôt pour donner un cadre à leur travail de prévention sociale, ou se protéger dans un domaine qui laisse peu de place à l’erreur. Ces résultats confirment ce que Haugstvedt et Tuastad (2023) ont identifié dans le contexte norvégien : l’espace de la PREVT est façonné par un « conflit de juridiction » (Abbott, 1986) dans lequel les intervenant·e·s sont amené·e·s à imposer leurs logiques de soin social (social care logics) aux logiques sécuritaires auxquelles ils et elles peuvent être tentés de se subordonner.
Le travail de prévention, du point de vue du des acteur·ice·s de terrain, apparaît ainsi avant tout comme un espace de résistance : de résistance à la simplification de la complexité du phénomène et sa réduction à une de ses formes uniquement ; de résistance à la stéréotypisation et à l’étiquetage trop rapide ; de résistance, enfin, à la « sécurisation du social » (Mary, 2003 ; Ragazzi, 2017 ; Sabir, 2017). Ils et elles décident de sensibiliser proactivement à d’autres formes d’« extrémisme » le grand public et les « points chauds » (les écoles, les services sociaux, les services d’intégration) dont parviennent les appels voire les signalements, comme les autorités du système pénal. Les intervenant·e·s enfin « récupèrent » le mandat qui leur est confié dans l’optique d’une prévention des violences de masse, pour le reformuler selon des paradigmes qui leur sont plus proches, faisant ainsi apparaître une nouvelle « agentivité résistante » (Cheliotis, 2006, 325).
Il constitue en outre un espace de navigation, les acteur·ice·s développant des stratégies de gestion des injonctions sécuritaires liées au partage de l’information et à la détection des « signes de la menace ». Comme le reconnaissent Heath-Kelly et Shanaah (2023), la présence des approches sociopréventives ou welfaristesne prémunit pas l’action de prévention des critiques sur ses potentiels effets discriminatoires. Le soutien éducatif, psychologique ou social fourni sous le libellé de PREVT se fait en parallèle à l’emploi de logiques préemptives basées sur le risque d’une menace terroriste éventuelle. En filigrane, plusieurs des intervenant·e·s rencontré·e·s laissent même entendre que l’accès à certains services de soutien non-spécifiques (liés par exemple à l’éducation, la santé mentale ou encore le logement) est facilité quand il y a un « risque de radicalité potentielle » présumé chez la personne en question.
Pour mieux conceptualiser le double mouvement résistance-navigation des acteur·ice·s, le recours au concept foucaldien de « savoir-pouvoir » (Foucault, 1975/2003) nous semble ici fécond. Plusieurs travaux ont démontré la pertinence des approches biopolitiques au domaine PREVT : ils montrent comment l’agenda « C/PVE » (Countering and preventing violent extremism) et les praticien·ne·s dans le domaine n’ont pas réussi à échapper aux logiques raciales sous-tendant le concept de radicalisation, malgré une évolution récente de l’intérêt porté au suprémacisme blanc (Mesok, Naji, Schildknecht, 2024 ; Younis, 2021) et l’introduction d’approches anti-racistes (Abu-Bakare, 2022). A l’appui d’une analyse des travaux du Conseil de sécurité, Martini (2024) décrit l’agenda P/CVE comme un dispositif tendant à la reproduction de hiérarchies raciales et genrées en société. Enfin, Farrell (2016) utilise l’approche biopolitique pour montrer comment les professionnel·le·s de l’éducation résistent à et se réapproprient la mission qui leur est imposée d’« enseigner les valeurs britanniques » dans le contexte PREVT.
Les intervenant·e·s que nous avons rencontré·e·s semblent être pris·e·s dans une négociation constante du « savoir-pouvoir » auquel ils et elles se voient confronté·e·s, mais dont ils et elles sont, paradoxalement, elles et eux-mêmes, in fine, dotés. A l’origine de ce pouvoir se trouvent les discours scientifiques, médiatiques et politiques qui construisent le « problème public » (Cefaï, 1999) du terrorisme comme étant celui du terrorisme islamiste (Chantraine, Scheer, 2020 ; Clement, Scalia, 2021 ; Silva, 2018). Cette construction n’est, certes, pas complètement aliénée d’une réalité empirique qui est marquée par des attentats perpétrés par des acteur·ice·s s’identifiant à des groupes comme Al-Qaïda ou Daech. Mais elle impose une vision et un discours dominants qui subjuguent d’autres formes de savoirs sur l’hétérogénéité des violences politiquement et idéologiquement motivées (Jackson, 2012). Plus encore, ce « savoir-pouvoir » met l’emphase sur certaines « causes » (individualistes, culturalistes et psychologisantes) de la violence terroriste en éludant des connaissances pointant vers d’autres causes, notamment structurelles, sociopolitiques, géopolitiques et historiques (Ajil, 2023 ; Kundnani, 2012 ; Silva, 2018 ; Younis, 2021).
Plus globalement, l’emprise sécuritaire du politique et plus généralement du narratif ambiant entraîne un élargissement des rôles des acteur·ice·s « du social » comme substituts, aides, participant·e·s à un autre rôle régalien de l’État : la surveillance et la répression. Si elles et ils s’en défendent clairement ou expliquent que leur collaboration avec la police ne se réalise qu’en vue de protéger des personnes, cela témoigne néanmoins d’une participation consciente, mais légitimée par un but « social ».
Quand bien même l’on peut trouver ainsi dans le domaine et parmi les acteur·ices impliqué·e·s (qui est toutefois très personnifié et peut ainsi prendre différentes orientations) des tendances welfaristes, la raison d’être de leur travail demeure, in fine, la prévention du « terrorisme » tel qu’il est représenté politiquement et dans l’imaginaire collectif, c’est-à-dire associé à l’Islam, en tout cas en Belgique et en Suisse. Même si les acteur·ice·s « du social » résistent et louvoient, reformulent et redirigent les ressources vers une forme de prévention sociale plus inclusive et participative, ils et elles risquent de permettre à ce « savoir-pouvoir » à l’origine de leur travail de « redorer son blason », de prendre de formes présumées plus « molles » et plus acceptables, plus bienveillantes et de l’ordre du « care » (Haugstvedt, Tuastad, 2023; Rodrigo Jusué, 2022). Par-là, nous arguons, qu’ils et elles participent à la « sophistication » du pouvoir. Un « savoir-pouvoir » qui promeut finalement une forme de docilité, de conformisme et d’apathie au sein de la société, puisque celle-ci devient ainsi moins à risque de perturber le statu quo (Ajil, Jendly, 2025). Sciemment ou pas, l’activité de prévention « molle » véhicule un pouvoir qui discipline, qui produit des professionnel·le·s et citoyen·ne·s « responsables », voire « co-producteurs de sécurité » (Holland, Higham-James, 2024) et qui le fait, à l’heure actuelle, de manière différentielle, puisque le phénomène visé est compris et construit unilatéralement, ciblant l’Autre musulman.
Enfin, s’il faut concéder à ces acteur·ice·s, en principe, la volonté d’intervenir d’une manière constructive, la résistance dans laquelle ils et elles s’engagent est sans doute coûteuse en termes de ressources temporelles et mentales, mais aussi en termes d’image – c’est ce que montrent leurs efforts incessants à déconstruire les préjugés, imposer une vision plus holistique du phénomène, mais aussi à contrer la perception d’être enfermé·e·s dans une approche de bienveillance « fleur bleue ». Les coûts liés à un traitement « méfiant » et « sécuritaire » seront toujours moins importants que ceux liés aux approches compréhensives, ce qui fait que le pouvoir présentera toujours une inertie allant dans une direction qui n’est pas celle préconisée par les acteur·ice·s « du social ». Selon la situation, le stress, la charge de travail et le temps à disposition, les décisions risqueront toujours d’être du moins en partie influencées par les logiques sécuritaires sans cesse à l’œuvre.
Il nous semble que si les acteur·ices sont conscient·e·s des enjeux inhérents à leur travail, la puissance latente émanant des discours dominants semble un peu passer sous leurs radars. Il s’agit d’une tendance lourde qui n’arrive pas à percer la surface consciente, et encore moins la surface discursive, comme nous avons pu le constater dans nos entretiens. Sans une déconstruction approfondie et un esprit d’autocritique radicale, qui fait encore défaut dans les récits recueillis, les intervenant·e·s de la PREVT risquent donc de permettre à ce pouvoir de prendre une forme plus fluide, moins palpable et plus durable.
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[1] Toutes les citations directes tirées de contributions anglophones font l’objet d’une traduction libre.
[2] Par exemple l’attentat sur une mosquée chiite à Anderlecht en 2012 par une personne déclarant avoir réagi à la souffrance du peuple sunnite en Syrie (https://www.rtbf.be/article/mosquee-d-anderlecht-le-suspect-se-dit-motive-par-la-situation-en-syrie-7725463, consulté le 29.11.2024) ou l’attentat au Musée juif de Belgique, à Bruxelles, commis par une personne qui avait combattu au sein de Daesh avant de revenir en Europe (https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2019/03/12/mehdi-nemmouche-condamne-a-la-prison-a-vie-pour-la-tuerie-du-musee-juif-de-bruxelles_5434609_1653578.html, consulté le 29.11.2024).
[3] Loi du 17 mai 2017 modifiant le Code d’instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme, Moniteur belge, 3 juillet 2017.
[4] Cour constitutionnelle, arrêt n° 44/2019, 14 mars 2019.
[5] Décret organisant la participation des services relevant des compétences de la Communauté française aux cellules de sécurité intégrale locales en matière de radicalisme, d’extrémisme et de terrorisme, D. 08-06-2023 M.B. 28-08-2023, https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/51566_000.pdf.
[6] V. texte définitif de la stratégie : https://sherloc.unodc.org/cld/uploads/res//treaties/strategies/switzerland/che0006s_html/fedlex-data-admin-ch-eli-fga-2015-1784-fr-pdf-a.pdf.
[7] Traduit librement du communiqué de presse publié en allemand sous : https://www.svs.admin.ch/content/svs-internet/de/home.detail.nsb.html/62489.html. Voir aussi un communiqué similaire publié en français qui ne reprend cependant pas exactement les mêmes termes : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-69082.html, consulté le 24.11.2024.
[8] Voir le site du RNS : https://www.svs-rns.ch/fr/programme-de-financement, consulté le 24.11.2024.
[9] Le PAN et les documents associés sont accessibles sous : https://www.svs-rns.ch/fr/plan-daction-national, consulté le 24.11.2024.
[10] En Suisse romande, v. par exemple dans les cantons de Fribourg et de Neuchâtel, et pour une liste complète : https://www.skppsc.ch/fr/projets/gestion-des-menaces-au-niveau-cantonal/, consulté le 29.11.2024.
[11] Pour un inventaire des « organes de contact », v.https://www.svs.admin.ch/content/svs-internet/fr/themen-/praevention-radikalisierung/_jcr_content/contentPar/downloadlist/downloadItems/79_1522326609095.download/Praevention_Radikalisierung_Kontaktstellen_Kantone-Stand-28-05-2024.pdf.
[12] Pour la Suisse, v. le Plan d’action national (2023-2027), et la Belgique, Note stratégique : extrémisme et terrorisme, Stratégie TER, 2021.
[13] A l’international, v. le rapport en 2020 A/HRC/43/46 du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte anti-terroriste, https://www.ohchr.org/en/documents/reports/ahrc4346-human-rights-impact-policies-and-practices-aimed-preventing-and ; pour la Suisse Humanrights.ch, en 2018 Quand la prévention de la criminalité ouvre la porte à l’état policier, https://www.humanrights.ch/fr/pfi/droits-humains/securite-interieure/prention-criminalite-abut, et pour la Belgique, le rapport en 2021 de l’Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits de l’homme, https://www.institutfederaldroitshumains.be/en/publications/parallel-report-for-the-committee-against-torture-cat.
[14] Faisant référence au décret (cf. nbp 6) qui n’étaient pas encore en vigueur lors de notre campagne d’entretiens en Belgique. Elle a pour but de régir le partage des données dans le cadre des concertations de cas. Plusieurs répondant·e·s participant régulièrement à ces concertations de cas se sont montré·e·s inquièt·e·s par les potentielles répercussions de ce partage de données sur la relation de confiance avec les personnes suivies. Cette relation était, au moment des entretiens, encore protégée par le secret professionnel.
[1] Cet article est le fruit d’une recherche financée par le fonds Relations internationales conjoint de l’Université de Lausanne et l’Université Libre de Bruxelles. Il est en partie soutenu par le fonds Postdoc.Mobility dont bénéficiait le premier auteur pendant son séjour en Belgique (Fonds national suisse, projet numéro 210797).